[MANUSCRIT]. Rapport et Certificat présenté au Roi touchant les prétendues possédées d’Auxonne. À Chalon, Chez Philippe Tan, Imprimeur du Roy, de la ville et Marchand-Libraire, 1662. [Seconde moitié du XIXème siècle]. Manuscrit de 38 p. sur 20 ff. in-8 (198 x 147 mm). Encre brune, papier fin. Cahier broché.
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L’affaire des possédées d’Auxonne se situe dans la continuité d’une atmosphère de terreur diabolique qui, après avoir ravagé la Bourgogne et la Franche-Comté vers 1644-1645, continuait à susciter suspicions et poursuites. « Ce fut l’an 1644 que la plupart des bourgs et villages de Bourgogne se trouvèrent dans une telle consternation par le bruit qui s’était répandu que les sorciers étaient la cause des altérations de l’air, que c’étaient eux qui par des maléfices avaient fait périr les bleds par la gresle, et les vignes par la gelée (…) Chacun d’eux d’une authorité privée, usurpait les droits de la justice ; les moindres païsans s’érigeaient en magistrats, leurs fantaisies et leurs chimères estaient receues comme des oracles, quand ils accusaient quelqu’un de maléfice, sans faire réflexion qu’ils confondaient dans les mêmes personnes les différentes conditions de témoins et de juges ; ils bannissaient toutes les formalitez de la justice et n’en voulaient point recevoir d’autre que celle de l’épreuve de l’eau. » (Jacques d’Autun : L’incrédulité sçavante et la crédulité ignorante au sujet des magiciens et des sorciers, 1671)
Un témoin racontant en 1660 l’affaire d’Auxonne à un correspondant évoque cette atmosphère et précisément les passions populaires comtoises : « Depuis quelques années, les peuples du Comté de Bourgogne se sont persuadés qu’ils avaient parmy eux beaucoup de sorciers ; et trouvant la justice trop lente, ils en ont assommé un très grand nombre. Les juges qui pouvaient arrester ce tumulte dans son commencement, n’y ayant pas donné les ordres nécessaires n’ont pas eu assés d’authorité pour en empescher les suites… Ce mal est devenu contagieux, et s’est communiqué depuis quelques mois à leurs voisins… » (cité par R. Mandrou)
C’est à partir de 1658 que l’on peut relever des troubles dans le couvent des Ursulines d’Auxonne : des nonnes et leurs confesseurs sollicitent l’intervention d’exorcistes. Au bout de quelques mois, à la suite de diverses péripéties, dont des exorcismes répétés, la dénonciation par les nonnes de femmes de la ville, qui sont aussitôt jugées, la condamnation de quatre veuves au bûcher pour « avoir assisté aux sabatz, participé avec le diable, commis des maléfices » [1], la crise trouve sa fixation en la personne de Barbe Buvée, une religieuse du couvent un peu en marge des autres, d’abord mise en cause par une nonne, Claudine Bourgeot, puis par plusieurs autres. Lors d’exorcismes, Barbe est accusée par les Diables qui habitent les autres sœurs « d’avoir fait un enfant dans le monastère et de l’avoir fait mourir, d’avoir donné une promesse écrite de son sang au diable Asmodée qui présidait à un certain sabath en l’absence de Lucifer » (R. Mandrou). Elle est traitée sans ménagement, incarcérée, chargée de fers, accablée par les autres religieuses, même par celles qui ne sont pas possédées.
C’est à ce moment, en décembre 1660, que la famille de Barbe entame des démarches auprès du parlement de Dijon [2]. La religieuse est transférée dans cette ville, la procédure effectuée par l’official d’Auxonne est cassée et une enquête portant sur l’ensemble des accusations est confiée à un nommé Legoux. Celui-ci doit faire face à divers obstacles, dont une seconde expertise des nonnes obtenue grâce aux relations parisiennes du curé d’Auxonne. Les conclusions publiées en 1662 contredisent les siennes : elles affirment que les religieuses sont bien possédées (Jugement de Messeigneurs les archevêque, evesque, docteurs de Sorbonne et autres scavans députés par le roy, sur la prétendue possession des filles d’Auxonne). Cela n’empêche pas le parlement bourguignon de trancher le 4 août 1662 en faveur de Barbe, à qui la liberté est rendue, d’ordonner une enquête sur le complot tramé contre elle et de prescrire une procédure contre Claudine Bourgeot.
L’affaire ne s’arrête pas là : les partisans de la possession, usant de leurs relations, parviennent à obtenir de Paris, fin 1663, un dessaisissement des magistrats bourguignons. Ceux-ci, s’adressent alors au roi et obtiennent gain de cause : un arrêt du 30 juin 1664 ordonne le transfert de l’ensemble du dossier devant le Parlement de Paris, ce qui, compte tenu de la tradition parisienne en la matière, équivaut à l’acquittement de Barbe.
Après avoir commenté rapidement les anecdotiques rebondissements et autres divers atermoiements parisiens, Robert Mandrou tire les conclusions de cette affaire : « pour la première fois depuis Loudun (où le dessaisissement du Parlement parisien au profit de Laubardemont présente une signification bien différente), le Conseil du Roi se soucie longuement d’une possession ; et il fait prévaloir finalement une solution qui équivaut à l’annulation de la poursuite primitivement engagée… » Cette première intervention présente l’intérêt de faire prévaloir une seule jurisprudence, celle de Paris, pour tout le royaume, en un domaine controversé et chaotique depuis des décennies. [3]
Notre manuscrit est composé de deux parties. La façon dont se présente la première page de la première partie (Rapport et Certificat présenté au Roi… A Chalon, Chez Philippe Tan, Imprimeur…) donne d’emblée l’impression de copier un imprimé mais le seul que nous connaissions, qui soit paru à l’époque, s’intitule Jugement de Nosseigneurs les commissaires nommez par le Roy au fait des personnes Religieuses et autres possedées du malin esprit, à Auxonne. Sur le rapport de Monseigneur l’Evesque de Châlon, Commissaire député de sa Majesté (il semble en effet que ce titre et celui cité plus haut dont, justement, Philippe Tan est l’imprimeur d’après la Dissertation theologique contre les convulsions, adressee au laic auteur… de Francois Hyacinthe Delan, 1733, p. 47, livrent le même texte)
Nous n’avons trouvé aucun livre dont tout ou partie de notre manuscrit pourrait être extrait. Les informations sur P. Tan données par data.bnf.fr n’évoquent ni le titre de cette publication ni celui mentionné par F. H. Delan. Le texte de la première partie du manuscrit est de Jean Morel, présenté comme « conseiller et médecin du roi ». J. Morel a participé à la commission ayant pour but de juger la véracité de la possession des religieuses d’Auxonne ; il intervient à ce titre dans le Jugement de Nosseigneurs les commissaires… sous la dénomination de « Docteur en Théologie de la Faculté de Paris de la maison et société de Sorbonne, Theologal de l’Eglise de Paris ». Certaines de ses observations consignées dans le manuscrit figurent dans cette publication qui consiste en un recensement de toutes les scènes frappantes auxquelles les exorcismes pratiqués par l’évêque de Châlon ont donné lieu, suivi de la conclusion selon laquelle la possession démoniaque est avérée. Son rapport, daté du 21 novembre 1661, occupe 6 pages : « … La plus grande part de ces filles pendant l’exorcisme fait des cris estranges, des hurlements épouvantables et vomit des blasphèmes horribles contre Dieu et la Sainte Vierge…d’austres fois estant sur les costes elles se glissent et rampent comme un serpent… Denise Garisot dans un exorcisme a rejeté un caillou de la grosseur d’une noix et une autre fois un crapaud vif, après lequel sortit un démon qui donna pour signe de sa sortie celuy que Monseigneur avait demandé, qui estait qu’en sortant il casserait une vitre de la chapelle… toutes ces actions d’esprit et de corps que i’ay veu en ces affligées d’Auxonne, surpassent à mon advis, la portée des filles, et les forces de la nature humaine, et par conséquent ne peuvent procéder que des Démons possédants ou obsédants ces corps… »
La seconde partie de 31 pages est intitulée Pièces à rapporter dans l’histoire d’Auxonne concernant la possession des Ursulines. Elle se rapporte à des événements postérieurs à la publication de Jugement de Nosseigneurs les commissaires… dont le privilège est daté du 8 mars 1662. Elle débute par la copie de plusieurs lettres, dont la première est datée du 14 octobre 1662. Il s’agit de courriers pour ainsi dire administratifs en rapport avec la mission des personnes députées par le Roi pour lui rendre compte des événements : Boucher (conseiller du Roi en ses conseils…, Intendant de la Justice…en Bourgogne et Bresse – Bouchu selon Mandrou), Gaston Chamillard et Noël le Blond, docteurs de la faculté de Paris et professeur(s ?) en théologie, tous deux chargés « d’exorciser les dites filles et autres personnes » (ou de les faire exorciser) … « et faire tout ce qu’ils jugeront à propos pour… » Certaines lettres sont recopiées deux fois si deux personnes l’ont reçue. Ces préliminaires occupent 5 feuillets, puis suivent les récits d’exorcismes : « Le Lundy suivant 4 juin les exorcismes ont commencé par Lazare Arvier ( ?) qui a répondu en françois aux questions qui lui ont été faites en latin, mais rien à celles qui lui ont été faites en Grec. Ils ont continué le Mardi. / Le Mercredi Anne Lescossois qui n’a rien dit que des ordures, Le Jeudi a été très agitée. / Le Vendredi Anne Giron qui n’a rien répondu aux questions latines, ni le samedi aux grecques. / Le Dimanche 10 juin Charlotte Joly a répondu Folle. [le mot est souligné] / Le Lundi rien, sinon que le Diable lui avait dit qu’il alloit dans le corps de Charlotte Lamy, servante du Sieur ( ?) Guye, Lieutenant général au bailliage d’Auxonne. [A noter : dans Jugement de Nosseigneurs les commissaires… son prénom est Denize] / Le Mardi 12, Charlotte Lamy, servante du sieur Guye, a seulement dit plus de cinquante fois Mon Dieu et autres, a répondu à l’exorcisme qu’elle était folle, elle et les Religieuses, qu’il faudrait les mettre entre quatre murailles et leur bien donner les étrivières, et au surplus n’a dit que des mensonges » etc.
Nous avons cité in extenso le début de cette relation ; la suite du récit de ces exorcismes occupe autant de lignes. Le doute s’installe au vu des réactions des jeunes filles et le procès-verbal, clos le 21 juin 1663, conclut à l’inverse de la publication de 1662 : « tout considéré nous sommes d’avis sous le bon plaisir du Roi et de son conseil, qu’il n’y a aucun signe certain et convaincant qui nous ait apparu de possession dans les dites Religieuses Ursulines. »
Il est indiqué à la suite de la copie du rapport : « Il y a apparence que c’était une comédie que cette possession » (il s’agit certainement de l’opinion de l’auteur du manuscrit).
La suite de la deuxième partie commence ainsi : « Au Roi et à Nosseigneurs de son conseil. Supplie humblement Barbe Beuvée, et dit que peu après l’établissement du monastère… » Elle décrit la vie de Barbe Buvée, sa carrière de religieuse, puis toute l’histoire de la possession (19 p.).
Mandrou p. 404-423.
[1] A la suite de leur procédure en appel, le parlement dijonnais réformera le jugement, bannira deux d’entre elles et renverra les deux autres, qui seront interceptées, assommées et brûlées à leur arrivée sans autre forme de procès par des habitants de la ville…
[2] Notons que ce parlement provincial est le seul à avoir nettement emboîté le pas aux magistrats parisiens après que ceux-ci eurent décidé en 1640 de ne plus poursuivre les sorciers (Mandrou p. 385).
[3] Concernant les étapes ayant mené à la fin des procès de sorcellerie en France, voir la fiche sur l’édit de 1682.