Programme du théâtre Prince of Wales de Birmingham annonçant une série de six jours de représentations de Dracula, par Hamilton Deane, à partir du lundi 13 août 1928. 4 feuillets d’annonces. 141×218 mm. Exemplaire fatigué (pliures, papier froissé, agrafe rouillée et détachée, petites restaurations en marge).
75 euros
Le premier plat, en couleurs, est consacré à Dracula. Les pages suivantes livrent notamment la liste des acteurs et font la publicité de deux autres pièces, de divers restaurants, concessionnaires automobiles…
Bram Stoker (1847-1912), avant tout homme de théâtre, régisseur du Lyceum Theater de Londres, que dirigeait Henry Irving, n’envisageait pas de postérité pour son roman malgré l’accueil plutôt satisfaisant du public et de la critique. C’était un écrivain non professionnel qui, de son propre aveu, estimait avoir publié « un récit de terreur à deux sous ». Il pensait en revanche que l’on pouvait en tirer une pièce de théâtre à succès et il écrivit celle-ci en 1897, considérant que le rôle de Dracula était fait sur mesure pour Irving.
Ce dernier se montra réticent et l’auteur, manquant peut-être de conviction quant aux chances de mener à bien son projet, renonça. Bien plus tard et longtemps après son décès, Florence, sa veuve, accepta de vendre les droits d’adaptation du roman à Hamilton Deane, qui dirigeait une troupe d’acteurs. Deane avait fait partie de celle d’Irving ; il avait conçu le projet d’adapter le roman plusieurs années auparavant. Sa famille et celle de Bram Stoker se connaissaient.
La pièce fut d’abord représentée en province, à partir de 1924, puis à Londres au bout de trois saisons. Elle connut un très grand succès populaire et fut adaptée la même année aux États-Unis, avec un scénario modifié selon le goût du public américain. Un certain Béla Blaskó, un acteur peu connu, originaire de Lugos, en Hongrie, triompha ainsi à partir d’octobre 1927 sur les scènes américaines, avant d’apparaître aux yeux du monde entier en 1931, dans le film de Tod Browning, sous le nom de Bela Lugosi. L’habit de soirée et la cape de l’acteur, indissociables aujourd’hui de l’image du vampire, avaient été imposés par Deane, qui cherchait à adapter au mieux son personnage à la société londonienne. La cape était par ailleurs utile lorsque Dracula disparaissait dans une trappe de la scène – ce type d’escamotage avait été inventé en 1820 à l’occasion des représentations de The vampire or the bride of the isles.
Notons que quelques personnes de l’entourage de Bela Lugosi avaient eu l’occasion de travailler sur le thème du vampire avant que l’acteur hongrois n’interprétât le comte. Ainsi le futur Dracula avait-il partagé en 1917 l’affiche d’un film avec Károly Lajthay, qui allait réaliser quelques années après Drakula Halála [1921] ; il avait aussi fréquenté, quand il vivait encore en Hongrie, l’auteur (présumé) de la novellisation de ce film, Lajos Pánczél. Enfin, il tourna sous la direction de Murnau une adaptation non autorisée du Jekyll de Stevenson, deux ans avant Nosferatu [1922] (tandis que Max Schreck, l’interprète du vampire dans ce film, joua pour sa part en 1920 et 1922 dans deux films de Fred Stranz, le réalisateur de Der Vampyr [1920]).
Nous ne sous-entendons pas que la participation de l’acteur hongrois à la pièce a un lien probable avec les faits précédents, mais il n’empêche que ce dernier pourrait avoir été conseillé par l’une de ces personnes, ou même, seulement, avoir été influencé ou sensibilisé par leur travail. Toutes étaient encore en vie à cette époque.
L’immense succès du film de Tod Browning, réalisateur en 1927 de London after midnight, eut un rôle déterminant dans le développement de la littérature vampirique aux États-Unis, qui, avant cette époque, se limitait semble-t-il à très peu de titres ; la célèbre nouvelle For the blood is life (1905) de F. M. Crawford et The House of the vampire de G. S. Viereck (1907), sont à cet égard des exceptions.
Cette carence avait commencé de s’atténuer à partir de 1925 tandis que, parallèlement à l’émergence du cinéma d’horreur, une littérature fantastique originale se développait dans les pulps. Cependant, ce n’est qu’après le film que « des dizaines et des dizaines » d’histoires parurent dans ces publications populaires à coût modique, qui bénéficiaient de forts tirages. Beaucoup d’entre elles virent le jour dans le fameux Weird Tales. (voir notre intoduction)
Sources : à l’exception des anecdotes sur l’entourage de Bela Lugosi, tout ce qui précède est extrait de : Jean Marigny (Un vampire renaît de ses cendres, in Dracula [pages 26-37] ; Le Vampire dans la littérature anglo-saxonne, pages 4, 122, 139-158, 180, 410-412, 807 ; Le Vampire dans la littérature du XXe siècle, pages 16-19 et 290). Pour les anecdotes en question, voir G. D. Rhodes : Drakula Halála (1921): The Cinema’s First Dracula, Horror Studies 1 : 1, pages 2 et 25-47, doi: 10.1386/host.1.1.25/1 (janvier 2010). thebioscope.net ; 18 janvier 2008, et Internet.




