LE VILLAIN DE LA VARENNE, Jean-Baptiste. Le Glaneur historique, moral, littéraire, galant, et calottin ou recueil Des principaux Evenemens arrivés dans le courant de cette Année, accompagnés de Réflexions. À La Haye, imprimé pour l’Auteur, 1731-1732-1733. Trois volumes (I, II, III) donnant la totalité des livraisons de cette revue, du 1er janvier 1731 au 15 juin 1733 (I à LXXXIX, I à CIV, I à XLVIII), ainsi qu’un supplément pour chacun des 13 premiers numéros de l’année 1733 [le dictionnaire des journaux n’en mentionne que onze]. Le numéro XL du 18 Mai 1733 est en double. La quatrième page de la troisième livraison du tome II présente des différences avec celle de l’exemplaire numérisé consultable sur Internet. Trois volumes in-12, veau brun, dos à nerfs orné, pièces de titre bordeaux et de tomaison sable, tranches rouges, roulette intérieure (reliure de l’époque). Tomes I et II, mouillures marginales. Usures aux reliures (coiffes rognées, mors fendus, coins émoussés, épidermures, manque de cuir au dos du Tome II, pièce de titre du Tome III frottée). Bons exemplaires cependant. 149×90 mm.

3000 euros

La première traduction au monde du Visum et Repertum.

Très rare collection complète de cette gazette d’un intérêt majeur relativement à la réception du vampirisme en France. Le phénomène était alors vraisemblablement inconnu dans notre pays, où les événements serbes de 1725 n’avaient eu aucun retentissement. Le Glaneur était édité par Le Villain de la Varenne, bénédictin défroqué établi en Hollande, réputé pour son indépendance d’esprit et pour l’impertinence et l’originalité de ses articles.

Concernant la diffusion du Visum et Repertum, A. Faivre, se référant (essentiellement) aux diverses communications du rapport Flückinger – au Conseil militaire de Vienne, à la Société royale des sciences de Prusse, à l’empereur Charles VI… –, écrit dans l’article du Colloque de Cerisy : « Ce sont d’abord les gazettes qui vont jouer un grand rôle dans la propagation du mythe […] Des mésaventures d’Arnold Paole à l’avènement de ce mythe, le chemin parcouru est le suivant : le vampire présent dans les rapports d’enquêteurs apparaît à Medwegya, de là passe à Belgrade, puis arrive à Vienne, ensuite gagne l’Allemagne (Leipzig, Berlin, etc.), avant de se répandre en France, en Angleterre et en Italie, véhiculé par des gazettes et des traités ou articles savants. Tout cela, en l’espace de quelques mois. Le coup d’envoi est donné par Le Glaneur, avec une traduction libre – ou plutôt une adaptation – du rapport Flückinger […] Sans doute est-ce la première apparition du mot “vampire” en français. Le récit est vivant, présenté dans un style alerte et fournit des détails (peut-être inventés) sur ce qui s’est passé entre l’anéantissement du vampire Arnold Paole et décembre 1731. » (pages 49-52).

Notons que depuis cet article, une référence antérieure à celle du Glaneur, très intéressante quoique beaucoup plus brève et ne citant ni Paole ni le Visum et Repertum, a été découverte : voir la fin de cette notice.

Le Glaneur proposera en tout trois articles, le dernier en deux parties.

Le premier (n° XVIII, 3 mars 1732) est intitulé Question physique sur une espèce de prodige dûment attesté. Il occupe trois pages et demie et ouvre le numéro ; il débute ainsi : « Dans un certain Canton de la Hongrie, nommé en latin Oppida Heidonum, […] ; c’est-à-dire, entre cette Rivière qui arrose le fortuné Terroir de Tockay et la Transilvanie, le peuple, connu sous le nom de Heyduque, croit que certains Morts, qu’ils nomment Vampires, sucent tout le sang des vivants, ensorte que ceux-ci s’exténuent à vuë d’oeil, au lieu que les Cadavres, comme des Sangsuës, se remplissent de sang en telle abondance qu’on le voit sortir par tous les Conduits et même par les Pores. Cette opinion vient d’être confirmée par plusieurs faits, dont il semble qu’on ne peut douter vû la qualité des témoins qui les ont certifiés […]  Il y a environ cinq ans qu’un certain Heyduque, Habitant de Medreyga, nommé Arnold-Paule fut écrasé par la chute d’un Chariot de foin. Trente jours après sa mort, quatre personnes moururent assés subitement ; et de la même manière que meurent, suivant la tradition du Païs, ceux qui sont molestés des Vampires. On se ressouvint alors que cet Arnold-Paule avoit souvent raconté, qu’aux environs de […] il avoit été tourmenté par un Vampire ; (car ils croïent aussi que ceux qui ont été Vampires passifs pendant leur vie, le deviennent actifs après leur mort ; c’est-à-dire, que ceux qui ont été sucés sucent à leur tour) mais qu’il avoit trouvé le moïen de se guérir en mangeant de la terre du Sepulchre, du Vampire, et en se frottant de son Sang : Précaution qui ne l’empêcha cependant pas de le devenir après sa mort ; puisqu’il fut exhumé 40 jours après son Enterrement, et qu’on trouva sur son Cadavre toutes les marques d’un Archi-Vampire : Son Corps étoit vermeil ; ses Ongles, ses Cheveux et sa Barbe s’étoient renouvelés ; il étoit tout rempli d’un Sang fluide, et coulant de toutes les parties de ce Corps, sur le Linceul dont il étoit envelopé. Le Hadnagy, ou Baillif du lieu, en présence de qui se fit l’exhumation et qui étoit un homme expert dans le Vampirisme, fit enfoncer, suivant la coûtume, dans le Cœur de ce défunt, Arnold-Paule, un pieu fort aigu, dont on lui traversa le Corps de part en part ; ce qui lui fit, dit-on, jetter un cri effroïable, comme s’il eût été en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête et on brûla tout, après quoi on jetta les cendres dans la fosse… »

D. Soloviova-Horville fait remarquer que l’auteur se soucie assez peu de la localisation géographique exacte des événements relatés ou de la signification réelle du terme « heyduque » : « Ce qui semble compter pour lui, c’est attirer l’attention des lecteurs sur “un phénomène aussi extraordinaire” qu’est la soif de sang, attribuée aux vampires. Dès le début de l’article, il établit un lien de cause à effet entre la succion et l’abondance de sang frais et liquide trouvé dans les corps morts. Il va jusqu’à comparer l’activité des vampires à celle des sangsues : “les cadavres comme des sangsues, se remplissent de sang en telle abondance, qu’on le voit sortir par tous les conduits, et même par les pores”, observe-t-il. Toutefois, même si La Varenne est certainement le premier journaliste à comparer la succion du vampire à celle de la sangsue, […] L’auteur du Glaneur pressent néanmoins la place centrale de l’absorption du sang dans la relation particulière unissant les vampires à leurs victimes. Il souligne d’entrée que le lien créé par la succion entraîne les victimes dans un état de dépendance et les condamne à entrer dans un cercle vicieux auquel elles ne peuvent échapper : “ceux qui ont été sucés sucent à leur tour”. […] Visiblement, la Varenne prend au sérieux les événements décrits dans le rapport Flückinger. Bien qu’il les qualifie de “prodige” dans le titre de son article, et les range au “chapitre des merveilles”, il ne se résout pas à les traiter comme de la fiction. Même au contraire, il plaide pour leur véracité : “ […] Il ne s’agit plus de révoquer en doute des faits circonstanciés, avérés et attestés par des personnes dignes de foi, et commises pour en examiner la vérité ; ce seroit juger peu favorablement de la probité de plusieurs Officiers de distinction, qui n’ont aucun intérêt à soutenir un bruit populaire, s’il n’étoit fondé sur des expériences certaines”. » (pages 153-154)

Le deuxième article, daté du 17 mars 1732 (n° XXV), débute ainsi : « Le public, suivant ce qu’on nous a écrit, a beaucoup raisonné sur ce que nous avons dit des Vampires dans le Glaneur […] On en a parlé, comme l’on fait de tous les Phénomènes, dont les Principes ne se développent qu’aux yeux clair-voïans et attentifs ; les uns ont nié, tout à plat, ce Prodige ; les autres en ont fait sans balancer, un des principaux articles de leur croïance ; deux extrémités également blâmables et qui ne procèdent que d’une honteuse ignorance des effets les plus simples de la Nature. »

La Varenne déclare ensuite que « la chose mérite bien d’être éclaircie » et qu’il donnera « sans tarder » le « jugement de quelques habiles Physiciens ». Il relate alors un autre cas similaire de « sucement prodigieux », enregistré par les autorités de la petite ville morave Stadlieb. On y aurait trouvé des « cadavres pleins de sang, avec tous les mêmes symptômes que l’on a vus chez les Heyduques. Les principaux, et les magistrats du lieu, en ont fait dresser des procès-verbaux, en bonne et due forme, et les ont envoyés aux académies et universités, dont on attend la décision avec impatience ». Comme le fait remarquer D. S-H., cet exemple est manifestement cité avec l’intention de donner une preuve supplémentaire de la réalité des cas présentés deux semaines plus tôt : « La Varenne a beau vouloir examiner d’un regard détaché ces événements, il n’empêche qu’il demeure convaincu de leur authenticité. » (page 155)

L’ultime intervention du directeur du Glaneur, qui avait finalement renoncé à s’adresser, comme il l’avait annoncé, à d’ « habiles Physiciens », est en deux parties. La première figure dans le numéro du 23 avril 1733 (n° XXXIII). Elle commence ainsi : « Quoiqu’il y ait déjà long tems que l’on ne parle plus, dans nos Provinces, des Vampires […] ». L’auteur signale ensuite que de nombreux ouvrages sur le vampirisme ont paru en Allemagne (« Nous serions trop long quand nous ne rapporterions simplement que les Titres des Livres, des Dissertations […] ») et se propose, sollicité par ses lecteurs, de donner une explication du phénomène dans le supplément de ce numéro (23 avril 1733 ; n° IX). Celle-ci, intitulée Courtes réflexions physiques sur le vampirisme, occupe trois pages et demi. La Varenne exprime cette fois son incrédulité, au travers d’une argumentation scientifique poussée. Cet article constitue un complément indispensable aux deux précédents : il s’agit d’un aboutissement au débat lancé par cette gazette et c’est la première tentative française pour expliquer les événements serbes – la seule avant plusieurs années. Notons que l’auteur, qui est manifestement bien informé du contenu des écrits publiés outre-Rhin – peut-être davantage que Calmet –, mais qui préfère s’en tenir à ses propres analyses, relate assez longuement le point de vue d’un « certain Docteur Allemand » qui estime que jeter les cendres des vampires dans les rivières provoque l’apparition de poissons vampires, dangereux vecteurs de contagion…

Après ce troisième article, dont le ton désabusé tranche singulièrement avec celui des deux premiers, plus rien, semble-t-il, ne paraîtra en France jusqu’à 1736.

L’importante audience du Glaneur, assurée par un très bon réseau de distributeurs, le simple fait qu’il soit rédigé en français, ce qui était un sésame qui lui ouvrait les portes des cabinets de lecture les plus prestigieux et lui donnait accès aux élites européennes : tout cela contribua à la grande diffusion de l’affaire Paole et du Visum et Repertum.

Le très sérieux et renommé Mercure de France publia lui aussi, deux mois après, un article titré Wampirs, fait singulier et des plus extraordinaires, s’il est vrai (voir ci-dessous). Mais cette communication procédait d’un état d’esprit très différent de celui du Glaneur : le rapport Flückinger y était reproduit dans une version « beaucoup plus exacte et circonstanciée […] sans la moindre explication, ni la moindre observation personnelle » – à l’exception de la réserve que sous-entend la fin du titre. « Le style impersonnel et volontairement neutre du Mercure de France a-t-il rebuté les lecteurs français qui ont préféré le récit, certes plus fantaisiste, mais aussi plus vivant du Glaneur ? […] l’auteur du Glaneur cherchait à susciter des réactions et des réflexions chez ses lecteurs en les invitant à prendre position sur une question aussi incroyable, et à échafauder leurs propres hypothèses. On l’aura compris, l’impartialité n’était pas le point fort du Glaneur… » (D. S-H., pages 155-156. Elle fait aussi remarquer page 316 : « Les journaux de 1732 délaissent progressivement le vocabulaire traditionnellement réservé aux anecdotes de morts maléfiques. À propos des vampires, les journalistes évitent de parler de cas “prodigieux” et “extraordinaires”, mais d’ “événements authentiques” et “certifiés” ! »)

Notons enfin que la célèbre affaire qui, peu avant les événements serbes, avait mis aux prises Catherine Cadière et le père Girard, sur fond d’inceste spirituel et d’avortement, mais aussi de querelle religieuse entre jésuites et jansénistes, est commentée dans plus d’une dizaine de numéros. C’est elle qui inspira le roman Thérèse philosophe, généralement attribué à Boyer d’Argens.

Le commentaire signalé plus haut, antérieur au premier article du Glaneur, se trouve à la page 141 du numéro du 29 février 1732 d’une gazette des Pays-Bas autrichiens nommée Relations véritables : « On apprend de Belgrade, qu’on a deterré dans les environs de cette ville dans l’endroit nommé Rampiers, plusieurs corps qui ont été examinés par trois Chirurgiens & deux Officiers du Regiment du Prince Alexandre de Wirtemberg, qui ont signé l’examen qu’on a envoié en cette ville, & en differentes Universités, afin d’avoir là-dessus le sentiment de gens savans. On y a trouvé plusieurs de ces corps tout ensanglantés & si fraix comme s’ils étoient encore en vie, & un entre autres, qui avoit les entrailles fort fraiches, quoi qu’il fut enterré depuis plusieurs semaines. »

Un second article, le 4 mars, traite du même cas que celui évoqué dans le deuxième article de La Varenne : il rapporte en effet que des corps que l’on a retrouvés cinq années auparavant à Stadlieb, près d’Olmutz, ont également été envoyés dans plusieurs universités pour être analysés « de la même manière que ceux qu’on a trouvez dans le Wampiers près de Belgrade ».

Voir à ce sujet : « Pierret, Johan. Une brèche d’irrationalité au siècle des Lumières ? Traités et récits francophones de vampires entre France et Empire autrichien. Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2018. Prom. : Mostaccio, Silvia ; Zanone, Damien. http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:16870 » ; pages 60-61. J. Pierret, à qui l’on doit, semble-t-il, la mise au jour de ces articles, fait remarquer qu’une confusion s’est manifestement produite autour du sens du mot vampire, alors inconnu des auteurs francophones.

Concernant Le Glaneur : http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr (article de Jean Sgard se référant à : Marianne Couperus : Un périodique français en Hollande: Le Glaneur historique ; auteurs additifs : Kees Van Strien, François Moureau).

Voir également la livraison n° LXI du 31 juillet 1732, dans laquelle un lecteur qui reproche au directeur d’oublier fréquemment de tenir ses engagements, note entre autres qu’un troisième article sur le vampirisme devait paraître rapidement.

Il semble très difficile de trouver cette collection complète. Plus précisément, nous n’avons pas eu l’occasion de voir un autre exemplaire que celui présenté ici. RBH en mentionne un, complet des livraisons, mais un feuillet manque. On rencontre en revanche des tomes seuls, qui contiennent un ou deux articles, mais pas les trois.

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