Lamet, Adrien-Augustin de Bussy de; Fromageau, Germain; Fabre. Le Dictionaire (sic) des cas de conscience décidés suivant les principes de la morale, les usages de la discipline ecclésiastique, l’autorité des conciles et des canonistes et la jurisprudence du royaume, par feus MM. de Lamet et Fromageau. Paris, chez Jean Coignard fils, Imprimeur du Roi (et) Hippolyte-Louis Guerin, 1733. Avec approbation et privilège du Roi. Édition originale. Deux volumes. Reliures en basane dépareillées, tranches rouges. Reliures usées, frottées (manques de cuir, coins émoussés…). La pièce de titre du second volume indique par erreur « Tom. IV. ». Galeries de vers peu pénalisantes à la fin du deuxième volumes et mouillures claires, assez discrètes sur certaines pages. 1756 et 1640 p., 31 ff. n. ch. (table). Intérieur des volumes en état satisfaisant. 245×385 mm

550 euros

La Sorbonne et les morts-vivants polonais : une prise de position antérieure aux articles du Mercure Galant.

Cet ouvrage de casuistique abordant les principaux points de morale chrétienne, utile en particulier aux clercs, notamment en confession, mais aussi aux laïcs, consiste en une succession d’études de cas motivées directement par des demandes de conseil adressées aux auteurs, ou bien correspondant à des situations « fabriquées » par ceux-ci. Elles sont présentées dans l’ordre alphabétique.

Certaines de ces réflexions se rapportent aux pratiques commerciales (par exemple, il « n’est pas permis à un Marchand d’acheter une chose beaucoup moins qu’elle ne vaut »…), tandis que d’autres concernent le devoir conjugal (« Le mariage d’un homme est nul, quand il se trouve en lui un empêchement qui ne peut être gueri que par une operation où sa vie seroit en danger » etc.), la question de la levée du secret de la confession dans des circonstances particulières, les comportements agressifs de paroissiens (« Il y a des occasions où les Prêtres peuvent et même doivent poursuivre en Justice les méchans qui les chargent d’injures et d’outrages et qui vont jusqu’à les frapper »)…

D’une très grande diversité, et conçues avec un souci de précision, puisque, pour une même entrée, de nombreux cas de figure peuvent être proposés, ces études mettent en évidence, entre autres, le type de relations entre morale et pratique sociale que pouvait préconiser l’Église, et plus largement la part prise par celle-ci à la constitution d’une conscience individuelle.

Un de ces cas contraste singulièrement avec les autres : il a trait à des troubles causés par des morts-vivants de Pologne et de Russie ; il s’agit en fait de ceux qui sont aussi rapportés par Desnoyers dans le numéro de mai 1693 du Mercure galant, et que nous décrivons plus haut. L’article en question, dû à Fromageau, figure à la rubrique « Maléfices » (c’est le seul de cette entrée, tandis qu’une autre, intitulée « Superstitions », en propose deux) ; il occupe l’équivalent de deux pages entières et commence par l’exposé des faits, qui est comparable à celui de la gazette. Cette relation est suivie d’une question portant sur l’attitude que les Confesseurs doivent adopter « tant à l’égard de ceux qui employent les remedes cy-dessus expliquez pour faire cesser l’infestation du malin esprit [en l’occurrence, manger du pain pétri avec le sang qui coule des cadavres soupçonnés de s’attaquer aux vivants], qu’à l’égard de ceux qui demandent que l’on s’en serve, et qui consentent à faire couper la tête des cadavres dont ces demons se sont emparez, pour être gueris. » L’article se poursuit par la réponse du théologien, qui prend soin en premier lieu d’exprimer très clairement les doutes du « Conseil de Conscience » : les faits « sont si extraordinaires qu’on a tout sujet de craindre qu’il n’y ait beaucoup d’illusion, et on n’y doit point ajouter foy qu’ils ne soient prouvez d’une manière si evidente qu’il soit impossible de les revoquer en doute. L’imagination, l’ignorance, la credulité excessive… » S’appuyant comme il se doit sur des textes de théologie, Fromageau explique ensuite dans le détail pourquoi se livrer à l’une ou l’autre des pratiques précédentes implique de pécher mortellement. Les Confesseurs sont donc tenus d’avertir ceux qui s’y prêtent « du mal qu’ils font, et [de] leur refuser l’absolution, s’ils persistent dans une si mauvaise pratique. […] Délibéré en Sorbonne ce 10. février 1663 [en fait, 1693] ». *

Concernant la « proximité » entre l’article de Desnoyers et la première partie de celui de Fromageau, notons que le Docteur de Sorbonne parle de « cadavres humains », auxquels on donne le nom de Siviges, alors que le journaliste cite les mots Striges et Upierz pour les « corps morts » en cause [nous ignorons d’où vient le terme Siviges, que Fromageau semble être le seul à employer]. Rappelons aussi que dans le numéro de mars 1693 de la gazette, Claude Comiers signale l’habitude des Polonais de mettre un hausse-col à leurs parents avant de les enterrer, pour empêcher l’absorption de sang, or ce fait est absent de notre article.

Ces différents faits nous laissent penser que les interventions du journaliste et du théologien sont indépendantes l’une de l’autre : les sources de l’article de mai du Mercure galant ne sont pas, a priori, les documents détenus par ce dernier. Cela est d’autant plus plausible que, nous l’avons vu, Desnoyers s’était déjà exprimé en 1659 sur un sujet très comparable, dans une lettre à un ami.

Par la suite, la décision de Fromageau réapparaît dans la deuxième édition de la Dissertation de Dom Calmet (1749), datée sans plus de précisions de 1693, où elle illustre des considérations sur la mutilation des cadavres. Le bénédictin explique auparavant que l’un de ses correspondants, qui avait envisagé d’écrire une « Dissertation Theologique et Physique » sur les vampires, avant de renoncer par manque de temps, devait lui procurer deux « résolutions de Sorbonne » produites entre 1700 et 1710, « qui défendoient l’une et l’autre de couper la tête et de sévir contre les corps des prétendus Oupires ». Mais il ne les retrouva pas [nous ne savons rien de plus]. Le texte de Calmet est quant à lui en latin et la première partie est nettement abrégée ; en particulier, le mot Siviges ne figure pas ; il commence, en référence aux pages qui le précèdent, par : « Quaedam Puella non pridem affligebatur à tali spiritu », c’est-à-dire : « Une certaine fille a été affligée il n’y a pas longtemps par un tel esprit » (pages 218 et 227-232) Il est aussi indiqué que le cas soumis à examen a été énoncé dans une lettre de Pologne, envoyée à Paris le 9 janvier 1693 (cette information est absente de notre livre). Curieusement, Dom Calmet ne fait aucun rapprochement avec le récit du Mercure, qu’il reproduit pourtant dans son livre.

Notons qu’une première tentative de publication de notre recueil eut lieu en 1714, plusieurs années après le décès des deux auteurs, mais seul un volume parut, dans lequel le cas polonais ne figure pas. Rappelons enfin que le numéro d’avril 1733 du Mercure de France rend compte de notre édition aux pages 736-743, et fait le lien entre les événements relatés dans le Visum et Repertum, dont il proposait la traduction en mai 1732, et l’article de Fromageau, qu’il reproduit (presque intégralement) pour cette raison. Le Mercure Galant et Le Glaneur ne sont pas cités ; cela illustre une nouvelle fois le manque de visibilité du vampirisme à cette époque, en France.

* L’existence de cet article n’est pas signalée dans notre documentation.

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