[BÉRULLE, Pierre de]. Léon d’ALEXIS. Traicté des Energumenes, Suivy d’un discours sur la possession de Marthe Brossier : Contre les calomnies d’un Medecin de Paris. Troyes, s.n., 1599. Édition originale. Pet. in-4 (163×102 mm). A-X4 : 84 ff. foliotés 2-83 et A-G4 : 28 ff. paginés 1-56. Veau fauve, triple filet doré sur les plats, dos à nerfs orné, caissons dorés, tranches teintées rouges (reliure du XVIIIème). Reliure restaurée.

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Robert Mandrou consacre un chapitre de Magistrats et sorciers en France au XVIIème siècle aux premières contestations de la répression de la sorcellerie : contrairement à ce qu’affirme Bodin dans sa Réfutation de Jean Wier, le retentissement du traité des Prestiges de ce dernier, qui cependant marque « le point de départ au grand débat au terme duquel les procès de sorcellerie cessent d’être poursuivis en France » (p. 127), n’a pas été aussi grand qu’il le prétend au vu de la fréquence des poursuites à l’encontre des sorciers : « point n’était besoin de traiter Wier [qui ne nie pas l’existence de Satan, ni ses entreprises, mais, en tant que médecin raisonne longuement sur « l’humeur mélancholique », la vieillesse « radotée » et les médications capables de guérir les ensorcelés et démoniaques] de “très meschant homme” et d’insinuer qu’il était lui-même un agent de Satan chargé d’induire en erreur les défenseurs de la justice. »

Mandrou écrit ensuite : « Les voix discordantes qui s’élèvent au cœur de l’épidémie demeurent isolées, hésitantes : il s’agit d’abord de quelques juges ou médecins appelés en consultation par les juges qui cherchent et trouvent des explications naturelles aux phénomènes étranges constituant la base des accusations : acquittements sans retentissement, discussions sans portée, jusqu’à ce qu’éclate à Paris, dans les toutes dernières années du siècle, l’affaire Marthe Brossier, cette prétendue possédée dont le cas divise le clergé, suscite des controverses, jusqu’au parlement : c’est la première affaire où peuvent s’exprimer au plein jour, face à l’opinion cultivée parisienne, les doutes des médecins et les prudences des théologiens ; l’affligée de Romorantin a été la première victime déclarée du Diable à susciter les controverses ; elle annonce, à sa façon, c’est-à-dire modestement, les grands débats des années 1630-1650. » (p. 153-154)

Au début de l’année 1598, Marthe Brossier commence à se prétendre possédée d’un démon, et accuse de ce maléfice une de ses voisines, Anne Chevreau, qui se retrouve bientôt emprisonnée. Un an plus tard, en mars 1599, celle-ci écrit une supplique très digne à Monsieur de Paris où elle fait état du drame qui afflige Marthe « fort triste et solitaire… hors d’espoir d’être mariée, n’estant que la troisième [ses aînées ne le sont pas], de telle façon qu’elle en serait venue toute frénétique, comme l’on a opinion. » Sur le conseil du curé de Romorantin et du médecin qui donne « attestation que ce ne pouvait estre maladye », Jacques Brossier emmène sa fille à Notre-Dame de Cléry ; c’est le début des voyages de la famille : le père, la fille aînée et la possédée parcourent le val de Loire et finissent par échouer à Paris, après avoir rameuté sur leur passage les foules qui viennent voir les crises dans les hostelleryes et les exorcismes dans les églises… Il paraît plus que probable que le père de Marthe, en grande difficulté financière à cette époque, a trouvé là un moyen de gagner de l’argent puisqu’il organisait de véritables quêtes pour assurer les exorcismes de sa fille.

L’affaire est loin de s’arrêter à ce stade. Elle provoquera beaucoup de remous, de controverses : elle offrira le spectacle d’exorcismes répétés dans des églises, pratiqués par des capucins, artisans actifs de la Contre-Réforme (l’édit de Nantes est alors très récent), au cours desquels Marthe s’exhibera, dénoncera des huguenots à longueur de séances et donnera aussi l’occasion aux prédicateurs de se déchaîner contre les protestants. Mais on verra des médecins, dont un certain Michel Marescot missionné par le Parlement de Paris, opposer leur rigueur scientifique aux partisans de la possession et en particulier à des contrères. Finalement, malgré le fait que la situation de Marthe relève uniquement des prérogatives de l’Église, en tout cas selon les partisans de la possession – en effet, elle n’a pas pactisé avec le Diable, ce n’est pas une « sorcière jurée » mais une victime –, le Parlement de Paris, adoptant le point de vue de Marescot et de ses confrères, et dénonçant donc l’imposture, la fera emprisonner en avril 1599 afin de faire cesser les troubles résultant de son instrumentalisation. Cela provoquera des polémiques ardentes retrouvant rapidement le ton et les thèmes du Paris ligueur. Marescot publiera en juillet son Discours veritable sur le faict de Marthe Brossier de Romorantin, pretendue demoniaque, afin de défendre la position du Parlement de Paris et le futur cardinal Bérulle, exorciste de Marthe, lui répliquera peu après sous le pseudonyme de Léon d’Alexis, par le livre que nous présentons ici. Ce traité constitue une défense de la possession : la première partie a un caractère général, la deuxième est une virulente attaque ad hominem contre Marescot, « médecin de profession, libertin de religion » ; Bérulle y insiste de nouveau sur la légitimité de la seule Église.

Marthe, de son côté, restera emprisonnée pendant quarante jours puis sera reconduite à Romorantin avec interdiction d’en sortir sans permission du juge chatelain de la ville, ce qui ne l’empêchera pas en décembre 1599 de s’échapper puis d’entreprendre un voyage à Rome pour déférer son cas au pape lui-même : long voyage émaillé d’incidents, de nouveaux exorcismes tumultueux et d’une intervention ferme pour l’empêcher de rencontrer le pape. Finalement, silencieuse au fond d’un couvent romain, elle se fera peu à peu oublier.

Il faut enfin insister sur une composante essentielle de cette affaire : à Paris, ces exorcismes à répétition, pratique choquante aux multiples excès, eurent pour conséquence une réaction du pouvoir. De tels cas dans une lointaine province dérangeaient beaucoup moins (par exemple : Nicole Obry de Vervins à Laon une trentaine d’années plus tôt) et n’appelaient donc pas à des changements. Et même si ces démonstrations et exhibitions dérangeantes ne perturbèrent pas les habitudes judicaires provinciales et assez peu les parisiennes, l’affaire Marthe Brossier contribua quand même à quelques évolutions à Paris : « les documents ne manquent pas qui montrent un premier changement d’attitude, le point de départ d’une réflexion critique collective. Dans les autres parlements, c’est le silence… » Et ainsi, l’interdiction par le Parlement de Paris de la preuve par l’eau fit l’objet d’un arrêt en décembre 1601 (grossièrement, la méthode consiste à jeter la personne à l’eau. Si elle coule elle est déclarée innocente mais elle meurt noyée, si elle flotte, elle est jugée coupable et est brûlée).

La matière de ce qui précède est entièrement fournie par le livre de Robert Mandrou (p. 153-191).

Le Discours sur la possession de Marthe Brossier se termine brutalement page 56 : la fin n’a semble-t-il jamais été imprimée (voir à ce sujet la bibliographie de Robert Yve-Plessis 637). La collation est bonne : elle est conforme à USTC 7170 : A-X4 (additional discours) A-G4. Brunet (II, 758) note que ce Discours ne figure pas dans les œuvres complètes de Bérulle et qu’il ne serait peut-être pas du cardinal. Mandrou estime quant à lui que « Bérulle semble avoir hésité à maintenir les accusations contre le médecin ». Précisons aussi l’absence, pour une partie des exemplaires de cette édition, du Discours. Caillet indique 83 pages (au lieu de feuillets).

Très rare, nous n’avons trouvé en tout dans RBH, Invaluable etc. qu’un exemplaire passé en vente en 2017, mais incomplet du discours. Le cédérom Artprice en signale un en 1993 (aucune précision n’est donnée). Absent de Bibliotheca Esoterica et de tous les catalogues de collections : Maurice Garçon, Max, Bechtel, Guaita, Lambert, Gruaz. Yve-Plessis : Essai d’une bibliographie française méthodique et raisonnée de la sorcellerie et de la possession démoniaque. Défauts à la reliure.

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