PRIEUR, Claude. Dialogue de la Lycanthropie ou Transformations d’hommes en loups, vulgairement dits Loups-garous, & si telle se peut faire. Louvain, Chez Jehan Maes, et Philippe Zangre, 1596. Édition originale. In-8 (146×95 mm). A-I8 : 72 ff. foliotés 2-72. Privilège en A1v. Vélin souple, dos titré à l’encre (reliure de la seconde moitié du XIXe). Ex-libris de Georges Flore et Geneviève Dubois ; Guy Bechtel ; Frédéric et Anne Max.

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Le loup-garou, homme ayant la faculté de se transformer en loup, apparaît très tôt, bien avant le Moyen Âge : on le rencontre dans la mythologie gréco-romaine (Lycaon), et la nordique – voir par exemple : Historia de gentibus septentrionalibus [Description des pays du Nord] par Olaus Magnus (1555). La transformation d’homme en animal est, comme on le sait, très loin de se limiter au loup : les compagnons d’Ulysse deviennent des pourceaux par l’action de Circé ; dans la Bible, le roi Nabuchodonosor est transformé en boeuf. Ovide, dans Les Métamorphoses, offre beaucoup d’exemples différents. Mais c’est la lycanthropie qui va assez rapidement prendre une place particulière au sein de l’ensemble de toutes ces transformations : Pausanias rapporte un cas, Virgile introduit dans ses Bucoliques le personnage de Moeris, qui se transforme en loup grâce à certains végétaux, puis s’en va courir les bois. Petrone rapporte dans le Satiricon une scène importante que des traités de démonologie, mais aussi le cinéma, reprendront : celle d’un loup-garou blessé lors d’une sortie, qui conserve sa blessure après avoir repris sa forme humaine.

La fin de l’antiquité et le début du Moyen Âge vont donner lieu à une prolifération de récits et de témoignages concernant les loups-garous, associés à des descriptions précises et des tentatives d’explications cohérentes. Il paraît naturel de supposer que, par exemple, une maladie comme la porphyrie, dont on reconnaît les symptômes dans certains des témoignages – maladie qui provoque une grande altération de la peau et qui oblige à se cacher de la lumière – a pu induire des comportements particuliers (besoin de s’isoler du groupe, de sortir la nuit, attitudes confuses) qui auront été compris comme des transformations d’humains en loups. De même, les cas d’enfants sauvages, la peur d’attaques de loups, le statut très particulier de cet animal, les tentatives d’explications de meurtres en série, ou encore les effets toxiques de certaines plantes hallucinogènes ou de céréales infectées par certain champignon, ont-ils contribué à alimenter la croyance. Mais la lycanthropie relève d’autres domaines encore, comme par exemple la théorie humorale (comme explication des maladies mentales – « mélancolie » pour les uns, « manie » pour les autres ; voir dans la partie « Vampires » les numéros de 1694 du Mercure Galant), les pratiques de type chamanique propagées en Europe par les Scythes, mettant en jeu le voyage extatique de l’âme, séparée du corps (cf. Carlo Ginzburg : Le sabbat des sorcières, qui y voit l’origine de la sorcellerie européenne, le voyage extatique devenant le sabbat, et les cultes agraires, des rites démoniaques).

Les loups-garous, qu’il s’agisse des hommes que l’on supposait tels ou de ceux qui, à l’inverse, croyaient se transformer, n’étaient quoi qu’il en soit pas particulièrement maltraités ; la médecine, en particulier, les considérait avec une certaine bienveillance et cherchait à les soigner. C’est à l’aube de la renaissance que leur situation changea avec la chasse aux sorcières annoncée par la publication en 1487 du Malleus Maleficarum, qui faisait d’eux des créatures diaboliques. La réalité de la transformation n’était pas reconnue mais, malgré tout, les deux auteurs, les inquisiteurs Sprenger et Institoris, estimaient que le loup-garou n’était pas un malade, mais quelqu’un ayant fait acte de sorcellerie, le diable provoquant en retour une illusion lycanthropique.

On a longtemps cru que la transformation était tout à fait admise par les démonologues, au même titre que le transport aérien des sorciers ou le sabbat ; Jules Baissac écrivait encore en 1890 dans un ouvrage bien documenté que « les métamorphoses d’hommes en animaux, notamment la lycanthropie, étaient généralement admises comme indiscutables » (in Les grands jours de la sorcellerie). Il n’en est pourtant rien : il suffit de consulter les nombreux ouvrages écrits aux seizième et dix-septième siècles pour constater l’inverse. Bodin est un des seuls à admettre cette transformation (source : Jean de Nynauld : De la lycanthropie, transformation et extase des sorciers, édition critique, Frénésie Éditions, 1990).

Plus précisément : « Les garous n’ont jamais cessé de poser problème aux théologiens et hommes de foi. Très tôt, ils sont diabolisés par opposition au loup, créature nuisible mais naturelle… Ceci étant, la Bible parle du Dragon, de démons et d’anges déchus, mais elle n’a aucune explication quant aux garous. Pire, Dieu possédant seul le pouvoir de création, la croyance populaire selon laquelle le Diable transforme les corps humains en ceux de loups grâce à ses pouvoirs contredit l’un des fondements de la religion chrétienne. Une explication évoquée un temps, veut que le Diable projette son âme dans le corps du loup. Elle n’est guère plus admise, puisqu’il s’agit là d’une altération de la réalité divine, impliquant que le Démon possède des pouvoirs équivalents à ceux de Dieu [on retrouve régulièrement cet argument dans les livres de démonologie]. Finalement, Thomas d’Aquin trouve la solution grâce aux textes d’Augustin d’Hippone, qui dit que les métamorphoses sont des illusions envoyées par le Diable, n’affectant ni le corps, ni l’âme, mais le phantasticum, l’image fantomatique de l’homme. Une simple illusion perçue par les sens. Ainsi, le garou devient-il une illusion démoniaque pour l’Église médiévale… » (source : Amélie Tsaag Valren ; fédération française médiévale)

Il existe près de quinze traités publiés au 16ème ou au 17ème siècle, consacrés entièrement à la lycanthropie (voir la bibliographie de Montague Summers). Parmi eux, trois seulement sont en français : celui-ci, le livre de Nynauld (1615) et le Discours de la lycantropie de Beauvois de Chauvincourt (1599). Il fut publié aussi un arrêt judiciaire concernant le loup-garou Gilles Garnier (1574). On trouve aussi, mais bien plus tard, une intéressante étude de Bourquelot (1849).

Le livre de Prieur illustre ce qui précède ; l’auteur, à la manière d’Ulrich Molitor en 1489, dans De Lamiis et phitonicis mulieribus développe son argumentation par le biais d’un dialogue entre trois personnes. Deux des interlocuteurs croient à la possibilité de la transformation, au contraire du troisième, qui représente l’auteur. De nombreux exemples sont évoqués, dont ceux de lycanthropes célèbres (Pierre Burgout, Michel Verdun, Peter Stump, Gilles Garnier etc), ainsi que des anecdotes lycanthropiques célèbres. Prieur conclut notamment à la possibilité pour des sorciers de paraître sous forme de loups, mais cette apparence est une illusion. Montague Summers consacre plus de trois pages à ce livre qu’il tenait visiblement en estime (The werewolf in…).

Notons enfin l’existence de liens, bâtis autour de la métamorphose, entre vampires et loups-garous : « La principale différence subsistant entre le concept du vampire et celui du loup-garou ne se situe pas au niveau de l’apparence, elle semble relative au moment de la métamorphose. La transformation de l’homme en vampire est posthume, tandis que celle en loup-garou se produit chez les vivants. Ce qui signifie que lorsque les limites temporelles sont effacées, la fusion entre les deux concepts devient possible. Les Slaves orientaux pensaient qu’après la mort, les loups-garous deviennent vampires. Chez les Slaves méridionaux, la fusion des figures du loup-garou et du vampire se trouve retranscrite sur le plan linguistique. Elle est attestée dans l’appellation serbocroate du vampire – vukodlak (composée des mots vuk, signifiant “loup” et de dlaka, “pelage”, “poil”). D’une manière identique, le vampire porte le nom de volkodlak en Slovénie […] D’ailleurs, la définition du vukodlak du premier dictionnaire de la langue serbe […] (1818) renvoie sans ambages au concept du vampire… » (pour des développements beaucoup plus importants : D. S.-H. p. 65-73 ; ces lignes en sont extraites).

Belle provenance : ex-libris de Bechtel, Dubois, Max. Voir Jean Goens : Loups-garous, vampires et autres monstres : Enquêtes médicales et littéraires, éditions du CNRS, 1993, ce livre fournit une grande partie du début de cette fiche.

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