Arest de Condemnation de mort, contre Maistre Urbain Grandier, Prestre Curé de l’Eglise Sainct Pierre du marché de Loudun, & l’un des Chanoines de l’Eglise saincte Croix dudit lieu : atteint & convaincu du crime de magie, & autre cas mentionnés au procés. Paris, Chez Estienne Hebert, et Jacques Poullard, 1634. In-8 (160×106 mm). A4 : 4 ff. paginés 3-7. Bradel cartonnage plein papier muet (reliure du XXe). Pas dans Seguin.

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Cet arrêt clôt partiellement l’affaire dite des diables de Loudun, l’un des cas de possession démoniaque les plus célèbres et les mieux documentés, un drame qui se construisit autour d’une personnalité féminine instable.

Le curé de Loudun est un prêtre de grand renom, un bon prédicateur. Lettré, esprit brillant, il est aussi un peu hautain, volontiers caustique et attaché à sa liberté de penser. Il a eu des aventures féminines qui ont fortement terni sa réputation : il a notamment abandonné une maîtresse avec un enfant et son évêque lui a interdit d’administrer les sacrements dans sa ville. Cette réputation de séducteur lui a valu de nombreux ennemis, certains très farouches, au rang desquels figure le chanoine Mignon, qui mène depuis des années avec des notables de la ville une cabale contre lui, enchaînant les procédures judiciaires pour « mauvaise vie, impiété ». Mignon est en effet apparenté à certaines des femmes séduites par le curé de Loudun.

Urbain Grandier a un autre tort : celui d’avoir fortement irrité le cardinal de Richelieu. Le prêtre a en effet combattu le projet du ministre de détruire le donjon et les fortifications du château de Loudun pour mieux imposer la tutelle royale sur cette ville où vivent de nombreux protestants. Il s’est par ailleurs opposé à lui à deux autres reprises : en 1618 en voulant lui ravir la préséance lors d’une procession et en 1627, en attaquant sa politique dans un violent pamphlet.

L’affaire débute véritablement lorsque Jeanne des Anges, qui n’a pourtant jamais rencontré Grandier, lui propose en 1631 de devenir le directeur de conscience des Ursulines. Le curé refuse et la religieuse, probablement mue par un fort sentiment de dépit, propose alors le poste au chanoine Mignon.

A la fin du mois de septembre 1632, Jeanne des Anges est saisie d’hallucinations. Les exorcismes commencent début octobre. « Elle voit des âmes dolentes qui souffrent en purgatoire. Bientôt, accompagnée de nombre de ses filles, elle se livre à des scènes de délire collectif, avec cris, convulsions, et obscénités. Elle accuse Urbain Grandier d’avoir envoyé des diables dans son couvent. » (G. Bechtel). Fin 1632, Urbain parvient grâce à ses relations à faire cesser les exorcismes menés par Mignon et un certain Barré, au cours desquels il est constamment mis en cause par la religieuse. Il connaît quelques mois d’apaisement. Mignon réussit alors à faire intervenir Martin de Laubardemont, un conseiller au parlement de Bordeaux que Richelieu a chargé de surveiller les travaux au château. Laubardemont est apparenté à l’une des nonnes du couvent et il a déjà instruit quelques années plus tôt des affaires de sorcellerie. Le magistrat obtient en novembre 1633 une mission d’informer contre le curé de Loudun, selon une procédure extraordinaire mettant hors jeu les instances traditionnelles comme le Parlement de Paris, qui auraient pu intervenir en faveur du prêtre. Les exorcismes se succèdent alors quotidiennement dans différentes églises de la ville ; certains sont pratiqués sur des tréteaux comme pour des représentations. Les révélations des démons, les scènes de convulsion, de prostration, et autres épisodes frénétiques offrent aux foules atterrées et compatissantes pour les jeunes femmes un spectacle accablant, plus redoutable pour le curé de Loudun que les interrogatoires que lui fait subir Mignon, chez qui il est emprisonné dans une cellule spécialement aménagée à son intention. Alors, lorsque les démons, s’exprimant par la bouche des nonnes, affirment l’existence de marques sataniques sur certaines parties du corps du prêtre, on cherche ces marques et, comme on n’obtient pas de résultat probant, on demande à Jeanne des Anges de trouver le pacte qu’a forcément signé le curé avec le diable… ce qu’elle fait, achevant de prouver la culpabilité d’Urbain (R. Mandrou fait remarquer que « les résistances des Loudonnais, huguenots ou catholiques sceptiques, ont duré longtemps ; Laubardemont et les diables ont été chansonnés, brocardés… »).

Le curé de Loudun est condamné « à faire amende honorable nue teste et en chemise, la corde au col tenant en ses mains une torche ardante du poids de deux livres, devant les principalles portes des Eglises […] demander pardon à Dieu, au Roy, et à la Justice […] conduit en la place publique […] pour y estre attaché à un poteau sur un bucher (…) y estre son corps bruslé vif avec les pactes & carracteres magiques estant au Greffe… ordonnons que led. Grandier sera appliqué à la question ordinaire & extraordinaire, sur la vérité de ses coplices. Prononcé & executé le dix-huictième iour d’Aoust 1634. » (extrait de notre imprimé)

« Jusqu’au dernier moment, le père Lactance, un prêtre récollet qui l’accompagne au bûcher, essaye de lui arracher un aveu en criant : “Parle, parle !” […] Mais Grandier meurt courageusement [devant six mille personnes accourues des villes voisines], criant seulement “Ah !, mon Dieu !” quand il tombe dans le brasier, sans avoir rien reconnu que ses faiblesses de chair. » (G. Bechtel, qui indique qu’après l’exécution, « l’émotion est énorme, non seulement chez les protestants de la ville que ce procès avait rendus fort inquiets, mais dans tout le royaume et chez tous les hommes de bon sens » ; il parut sous des pseudonymes de multiples publications de médecins, juristes et religieux)

L’affaire ne s’arrêtera pas pour autant : les nonnes continueront de dénoncer, d’attaquer tous ceux qui ont pris le parti de Grandier (un de ses frères, emprisonné pour cette raison, échappera de peu au bûcher en s’évadant à temps) ; les exorcismes publics se poursuivront jusqu’à ce qu’il soit décidé en 1637 de les interdire.

Il y eut ainsi au 17ème siècle plusieurs affaires de possession dans des couvents, marquées de la sorte par des exhibitions répétées, profondément dérangeantes par leur caractère exhibitionniste voire obscène, ou par le fait de manifestations très impressionnantes de l’hystérie (corps tordus, enflés…, comme ici lors d’un exorcisme fin août 1634 : « Asmodée luy enfla en un instant le visage si effroyablement que, sans hyperbole, elle l’avait trois fois aussi gros qu’à l’ordinaire, et surtout les yeux qui estaient comme ceux du plus gros cheval… »). A Loudun, l’élément principal fut Jeanne des Anges, jeune femme déséquilibrée, devenue semble-t-il, au fil des événements, une manipulatrice attachée avant tout à satisfaire une quête de sainteté (à ce sujet, voir à la date 1637). Urbain Grandier ne fut guère quant à lui qu’un coupable idéal.

Ce cas de possession collective a fourni le thème d’un vaste débat bien plus consistant intellectuellement parlant que, par exemple, celui provoqué par l’affaire Gaufridy, vingt ans plus tôt, pour lequel les publications se contentaient de relater les méfaits de Satan et de glorifier les exorcistes qui les avaient rédigées. Dans le cas de Loudun, théologiens, médecins et hommes de science, se prononcèrent, et cela durant de nombreuses années. En ce sens, cette affaire constitue bien, à juste titre, le grand scandale de l’époque, celui qui suscita les réflexions et les prises de conscience décisives amenant à la promulgation de l’édit de 1682 signant la fin des poursuites pour crime de sorcellerie (voir à cette date).

Les imprimés d’époque concernant l’affaire de Loudun sont très nombreux (vingt-sept selon la bibliographie d’Yve-Plessis), mais ils sont tous très rares : on ne rencontre que ceux parus à partir de 1693. Aucun dans le catalogue de la vente Max – ils sont tous postérieurs –, contre neuf pour l’affaire de Louviers. Aucun non plus dans les catalogues Guaita, Bibliotheca Esoterica, Bechtel, Gruaz et Lambert. Le seul que nous ayons vu dans un catalogue spécialisé figurait à la vente Maurice Garçon (n°160 : La Gloire de S. Joseph victorieux des principaux démons…).

Sources : tout ce qui précède est extrait de : Robert Mandrou, Magistrats et sorciers en France au XVIIème siècle (1968), p. 210-219, Bechtel p. 636-642 et Wikipédia.

Il existe un autre tirage à la même date et chez le même éditeur, visible sur Gallica : il présente quelques très légères différences avec le nôtre (« Arrest » au lieu d’ « Arest », « Procureur de sa Majesté » au lieu de « Procureur du Roy » etc.)

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