GOETHE (J. W. v.) Des hommes célèbres de France au dix-huitième siècle, et de l’état de la Littérature et des Arts à la même époque ; par M. Goëthe : Traduit de l’allemand par MM. De Saur et de Saint-Géniés ; et suivi de notes des traducteurs, destinées à développer et à compléter sur plusieurs points importants les idées de l’auteur. Paris, Renouard, 1823. Reliure demi chagrin du XIXe siècle. 298 p., 1 ff. n. ch. (Errata). Quelques rousseurs, surtout aux premiers et derniers feuillets, une tache p. 91-92, deux manques marginaux de papiers, p. 162 et 227. 198×125 mm. Édition originale française.

150 euros

Dans l’une des notes mentionnées ci-dessus, figure, en prose, la deuxième traduction de La Fiancée de Corinthe (pages 253-256). Elle est précédée et suivie de commentaires – pour plus de détails, voir la bibliographie.

Très proche d’un récit ancien de Phlégon de Tralles, ce beau et célèbre poème vampirique* où, comme dans la Lenore de Bürger, l’amour maudit, impossible, défiant la mort et même les dieux, permet au poète de justifier le retour du défunt – et de donner de l’épaisseur au personnage du revenant –, a cela de remarquable qu’il fixe l’image de la morte vivante au XIXe siècle. Pour la première fois, en effet, la créature se voit attribuer une énergie sexuelle immense et le pouvoir d’ensorceler sa victime grâce à sa beauté – autant de caractéristiques qui, rappelons-le, n’existent pas dans les descriptions rapportées dans les récits de vampirisme.

Dans De l’Allemagne (1810), madame de Staël, se montrant consciente que ce « tableau, où l’amour fait alliance avec la tombe, où la beauté même ne semble qu’une apparition effrayante » s’accorderait difficilement au goût français, avait pris soin de tempérer son enthousiasme par des commentaires prudents.** Cette prudence, bien sûr, n’était pas superflue et les deux coauteurs du présent ouvrage, plus sceptiques que leur prédécesseur quant à l’adhésion des auteurs français à de tels thèmes littéraires (une adhésion qu’ils ne semblaient d’ailleurs pas appeler de leurs vœux), affirmèrent pour leur part : « […] jamais ce genre ne prendra parmi nous : en France on est trop moqueur et trop raisonneur. Ce n’est pas que les fantômes et les lutins n’aient trouvé dans notre littérature des protecteurs illustres ; mais jusqu’à présent ils n’ont point réussi à réhabiliter ces vieilles puissances détrônées par le ridicule. […] Les récits de sortilèges et d’apparitions qu’on écoute encore dans quelques villes d’Allemagne en gardant son sérieux et même en frémissant, ne sont pour nous que des sujets de raillerie. […] La muse française, que le vrai seul inspire, n’en marche pas moins l’égale de ses sœurs, et n’a point à se plaindre de son partage. »

« Ajoutons que Goethe, tout en condamnant plus tard les excès du “genre frénétique”, conserva jusqu’à sa mort un intérêt bienveillant pour les vampires dont il fait deux fois mention dans la seconde partie de son Faust. » (Voyslav M. Yovanovitch, déjà cité, page 319)

Voir Jean Marigny : Dracula, prince… pages 106-107 et D. S-H., pages 229-231.

*L’intention de Goethe ne laisse pas de doute : il nota dans son journal, aux dates des 4 et 5 juin 1797, « Début du poème vampirique », puis « La fin du poème vampirique ».

** Madame de Staël consacre plusieurs pages à la « source inépuisable des effets poétiques en Allemagne, la terreur ». Elle commence par des considérations générales, analyse ensuite Lenore ainsi que Le féroce Chasseur de Bürger et termine avec La Fiancée de Corinthe qu’elle admire particulièrement. Elle résume à cette occasion ces poèmes et traduit des extraits. Elle affirme notamment : « […] quoique le christianisme combatte toutes les craintes non fondées, les superstitions populaires ont toujours une analogie quelconque avec la religion dominante. Presque toutes les opinions vraies ont à leur suite une erreur ; elle se place dans l’imagination, comme l’ombre à côté de la réalité : c’est un luxe de croyance qui s’attache d’ordinaire à la religion comme à l’histoire ; je ne sais pourquoi l’on dédaignerait d’en faire usage. Shakespeare a tiré des effets prodigieux des spectres et de la magie, et la poésie ne saurait être populaire quand elle méprise ce qui exerce un empire irréfléchi sur l’imagination. Le génie et le goût peuvent présider à l’emploi de ces contes : il faut qu’il y ait d’autant plus de talent dans la manière de les traiter, que le fond en est vulgaire ; mais peut-être que c’est dans cette réunion seule que consiste la grande puissance d’un poème. Il est probable que les événements racontés dans l’Iliade et dans l’Odyssée étaient chantés par les nourrices avant qu’Homère en fît le chef-d’œuvre de l’art. […] Goethe s’est essayé aussi dans ces sujets, qui effrayent à la fois les enfants et les hommes ; mais il y a mis des vues profondes, et qui donnent pour longtemps à penser. Je vais tâcher de rendre compte de celle de ses poésies de revenants, la Fiancée de Corinthe, qui a le plus de réputation en Allemagne. Je ne voudrais assurément défendre en aucune manière ni le but de cette fiction, ni la fiction en elle-même ; mais il me semble difficile de n’être pas frappé de l’imagination qu’elle suppose.  » L’analyse du poème se termine ainsi : « Sans doute un goût pur et sévère doit blâmer beaucoup de choses dans cette pièce ; mais quand on la lit dans l’original, il est impossible de ne pas admirer l’art avec lequel chaque mot produit une terreur croissante : chaque mot indique, sans l’expliquer, l’horrible et merveilleux de cette situation. Une histoire, dont rien ne peut donner l’idée, est peinte avec des détails frappants et naturels, comme s’il s’agissait de quelque chose qui fût arrivé ; et la curiosité est constamment excitée, sans qu’on voulût sacrifier une seule circonstance pour qu’elle fût plus tôt satisfaite. Néanmoins, cette pièce est la seule, parmi les poésies détachées des auteurs célèbres de l’Allemagne, contre laquelle le goût français eût quelque chose à redire »

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