L’illustration des rééditions de Justine
État des lieux de la bibliographie de Sade
On peut distinguer deux périodes pour les éditions des textes littéraires de Sade : avant 1835 (environ), et après 1865, avec le début des publications belges. La première période, celle à laquelle nous nous intéressons ici, comprend pour l’essentiel les différentes éditions de Justine, La Nouvelle Justine [parue en 1797]*, Juliette, La Philosophie dans le boudoir, Aline et Valcour, Les crimes de l’amour, La Marquise de Gange et Oxtiern, ou les malheurs du libertinage. A ces publications s’ajoutent deux éditions donnant une partie du texte d’Aline et Valcour : Valmor et Lydia et Alzonde et Koradin. La première est sans doute une contrefaçon ; la situation est un peu moins moins claire pour la deuxième, qui pourrait éventuellement avoir été initiée par le marquis, désireux de profiter du succès de Valmor et Lydia.
Vingt et une éditions dont l’existence est avérée sont référencées dans les bibliographies.
Enfin, deux autres romans, indissociables de l’œuvre de l’auteur, complètent cette liste. Il s’agit de Pauline et Belval, auquel le marquis a peut-être participé, et de Zoloé et ses deux acolythes, dont il pourrait cette fois être l’auteur ; dans chacun des deux cas, la question reste entièrement ouverte. Le premier de ces romans a connu trois ou peut-être quatre éditions et le second, une seule.
Cela étant, en raison de leur rareté, quelques éditions sont inconnues des bibliographies, tout au moins de celles que nous connaissons.** « La Nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu (Suivie de l’histoire de Juliette), 10 vol., En Hollande 1797 (= ca. 1840-60 ?) », décrite sous le numéro 1729 dans le catalogue de la belle vente K. L. Leonhardt du 10 mai 2012, chez Zisska et Schauer, est dans ce cas. Selon la notice, qui souligne cette absence, son illustration, hétéroclite, est composée de réimpressions de gravures de différentes éditions. L’exemplaire en comporte 93 « sur 100 ? », en plus du frontispice. De même, nous avons vu sur un site de vente espagnol, il y a plusieurs années, un tome huitième de Juliette avec une page de titre inconnue, à la date 1797 : Juliette ou les prospérités du vice pour faire suite à la Nouvelle Justine. Il n’est pas fait mention de gravures et d’ailleurs, le volume n’en comporte pas. Il pourrait s’agir d’un exemplaire de l’originale avec un titre qui prend en compte cette absence. Signalons également l’existence d’une gravure illustrant une scène à la fin de Justine, qui porte la mention « Tom. 3 » alors qu’aucune édition en trois tomes du roman n’est connue (nous donnons davantage de détails plus loin et elle est reproduite ci-dessus). Bien sûr, on ne peut pas affirmer qu’une telle édition existe – d’autant plus que la condition de cette gravure ne permet pas de déterminer si elle est extraite d’une reliure –, mais c’est une possibilité.
Inversement, dans plusieurs des bibliographies que nous avons citées en note, figurent des éditions dont aucun exemplaire n’est connu. On ne peut pas exclure l’éventualité que certaines d’entre elles, qui seraient particulièrement rares, existent réellement.
D’autres points d’ordre bibliographique restent à étudier ou à signaler, comme le fait que l’édition de 1817 de Pauline et Belval et celle parue vers 1820 sont à notre sens des remises en vente de l’édition de 1812, avec les titres renouvelés et, dans le cas de la dernière, les quatre derniers feuillets recomposés.
Dans un autre ordre d’idées, on peut aussi rappeler ces mots de Jean-Jacques Pauvert dans son Anthologie des lectures érotiques : « Justine n’est peut-être pas le premier roman de Sade. (D’après certains indices, il y a longtemps que je pense qu’un texte de lui a été imprimé avant qu’on ne l’enferme à Vincennes, et je ne désespère pas de le retouver un jour) ».
Toutefois, c’est la question des différentes rééditions de Justine, et plus particulièrement leur illustration, qui a motivé cette parenthèse bibliographique. Les informations à disposition sont en effet très insuffisantes : les bibliographies donnent très peu de détails, elles se contredisent et aucune n’est entièrement fiable. A notre connaissance, on ne trouve aujourd’hui aucune reproduction de l’illustration complète de l’une des éditions.*** Certaines gravures sont accessibles par le biais d’exemplaires de bibliothèques numérisés ou de diverses publications telles que des catalogues de vente ou des rééditions modernes de Justine, mais l’information obtenue n’est jamais garantie. Deux exemples parmi d’autres : celles reproduites pages 915 et 918 de Justine et autres romans (Bibliothèque de la Pléiade, 2014), issues d’un exemplaire conservé dans une institution, n’appartiennent pas au jeu de 1800, contrairement à ce qui est indiqué. De même, on peut lire dans Sade, un athée en amour, que la première édition de Justine pourvue de gravures [autres que le frontispice de Chery] est celle de 1792 (p. 266). Ces carences sont dues à la particularité qu’ont les exemplaires de presque toutes ces éditions d’être extrêmement rares et donc difficiles d’accès, ainsi qu’au fait que quasiment tous sont défectueux, y compris ceux qui ont le nombre de volumes requis (gravures manquantes, illustration provenant partiellement ou entièrement d’autres éditions, voire de livres d’autres auteurs). Ainsi, nous ne connaissons qu’un exemplaire intègre de l’édition de 1794, un ou peut-être deux de celle de 1797 en 4 volumes, et, dans le cas des millésimes 1791 et 1800, deux et un. Parmi ces six exemplaires, deux seulement sont conservés dans des bibliothèques.
Quitte à nous éloigner un peu de notre sujet, notons que cette grande rareté s’observe pour d’autres éditions que celles de Justine. Par exemple, nous n’avons repéré que quatre exemplaires de la deuxième édition de La philosophie dans le boudoir (c. 1830) : un à la BNF, incomplet d’une figure (Pia 1130), un autre à la British Library (P.C. 30.k.14, incomplet du premier des deux volumes et de deux figures du second), celui du catalogue Les délassements du boudoir (numéro 56, Librairie J. C. Vrain, 2003), incomplet d’un feuillet de texte, et un dernier, enfin, en mains privées, complet – peut-être celui évoqué par J. C. Vrain dans sa notice : « Cet exemplaire serait l’un des deux seuls complets des dix illustrations libres en noir » ? La situation est comparable pour La Nouvelle Justine, illustrée par Dévéria, parue vers 1835, qui possède un frontispice et 40 figures (nous ne ne connaissons que quatre exemplaires en mains privées, complets des quatre volumes, et aucun ne contient toutes les planches)****
* L’édition originale n’est pas antidatée : voir la page d’accueil du site.
** Nous avons consulté notamment celles de Gay (1864), Dühren (1901), Apollinaire (1909), Cohen-De Ricci (Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIIIème siècle, sixième édition, 1912), Lely (qui, il est vrai, se consacre plutôt aux originales) et Jean-Pierre Dutel (Bibliographie des ouvrages érotiques publiés clandestinement en français entre 1650 et 1880, 2009). Il existe d’autres sources (Janin, Barbier etc.) mais les bibliographies anciennes se copient souvent, et donner la liste complète de celles que nous avons lues n’aurait guère d’intérêt. Enfin, l’ouvrage de J. P. Dutel, qui est de très loin le meilleur, présente cet avantage remarquable que les éditions listées existent toutes et que, par ailleurs, trois d’entre elles sont inconnues de ses prédécesseurs. Cependant, quelques erreurs ou imprécisions figurent.
*** Sauf pour l’édition de 1800, dans Essai de bibliographie des éditions illustrées de la Justine de Sade, publié en 2016 sur Bibliophilie.com. Cet article est consacré aux questions qui nous intéressent ici, mais nous avons depuis repris notre travail et affiné les résultats. Il n’en reste pas moins qu’il pourra être intéressant de le consulter, malgré quelques erreurs dans le premier tableau.
**** Voir la notice des exemplaires vendus le 9 novembre 2010 chez Christie’s (lot 50) et, en 2012, chez Zisska et Schauer (collection Leonhardt, lot 1728). Celle de 2010 affirme à tort qu’il est « fort probable » que la deuxième planche du tome 2, la seule qui soit absente du livre qu’il décrit, n’ait jamais été fournie, or nous connaissons un exemplaire qui la contient (p. 51 ; il faut préciser à ce sujet que toutes les scènes du tome sont inspirées de celles de l’édition originale, ce qui permet de les classer). De toute façon, indépendamment de cela, la notice ne prouve rien. L’exemplaire de la vente Nordmann est en effet évoqué sans qu’il ne soit indiqué que la planche manquante est bien la deuxième. De plus, ceux susceptibles d’avoir été examinés pour comparaison sont très peu nombreux (quatre) et deux d’entre eux posent un problème : l’un d’eux est incomplet de 20 planches, et donc bien trop lacunaire pour que l’absence éventuelle de la figure soit significative, tandis qu’un autre, conservé à la BNF, est pourvu d’une illustration issue d’une autre édition (Enfer-1186, 1187, 1188, voir le site de la bibliothèque).
Préambule
On connaît sept rééditions anciennes de Justine : 1791 (2 tomes, illustrée), 1792 (2 t., illustrée), 1794 (2 t., illustrée), 1797 (une en 4 t., illustrée, une autre en 2, non illustrée et antidatée d’une vingtaine d’années au moins), 1800 (4 t., illustrée), 1801 (4 t., non illustrée).
Compte tenu de tout ce qui précède, il est utile de donner des précisions sur leur rareté et sur la condition des exemplaires rencontrés. Dans le cas de ceux en mains privées, nous avons consulté divers catalogues, certains de grands collectionneurs, dont voici, énoncée succinctement, la liste : Roger Peyrefitte (1977), Librairie Forgeot (2005), Gérard Nordmann (2006), Jean Bonna (Six siècles de littérature française, 2007), K. L. Leonhardt (2012 ; aucun des deux autres catalogues consacrés à la bibliothèque de ce collectionneur ne contenait d’éditions de Sade), Sade, un athée en amour (catalogue de l’exposition de la fondation Bodmer, qui s’est tenue en 2014, à l’occasion du bicentenaire de la mort du marquis ; la liste des prêteurs, qui inclut des particuliers, est longue), Les choix de Pierre Leroy, (2016), Tony Fekete (2014), Jean-Pierre Faur et Emmanuel Pierrat (7 décembre 2007), Michel Simon (Bibliothèque secrète d’un amateur connu ; 1977 – nous n’avons pas eu accès aux compléments ultérieurs), ainsi que Les délassements du boudoir (cité ci-dessus). Nous avons aussi tenu compte des exemplaires que cite J. P. Dutel à la suite de ses descriptions. La liste de ses références bibliographiques contient en effet des catalogues dont nous ne disposions pas (dans les faits, cela ne nous a rien apporté, mais l’information est importante).
Nous avons également procédé durant de très nombreuses années et jusqu’à 2021 environ à des recherches très fréquentes et approfondies, notamment sur Google, dans les archives d’Invaluable, Liveauctioneers, Barnebys, Bibliorare, Auction.fr, Drouot.com, Rare Book Hub (RBH), Lotsearch, sur le cédérom Artprice Argus du livre de collection édité en 2006, ainsi que, directement, dans les sites de maisons de ventes telles que Christie’s, Sotheby’s, Pierre Bergé, Binoche et Giquello, Ader, Alde etc. (cette multiplication des sources est nécessaire car aucune d’elles n’inclut la totalité des occurrences d’une autre).
Bien entendu, même si ces investigations permettent d’obtenir des informations indéniablement significatives et, il faut le souligner, en accord avec ce qui ressort des recherches d’exemplaires conservés cette fois dans des institutions*, ils ont les évidentes limites que chacun peut imaginer et que nous ne sous-estimons absolument pas.** Nous accompagnons donc nos commentaires et autres statistiques de toutes les réserves qui s’imposent, en précisant néanmoins qu’à nos yeux, ces résultats sont certainement représentatifs quand on les utilise pour faire des comparaisons. Par exemple nous pensons pouvoir affirmer sans risque d’erreur que chacune des rééditions de Justine postérieures à 1791 est incomparablement plus rare que l’originale.
* Catalogue collectif de France, Catalogue virtuel de l’université de Karlsruhe, Gallica, Europeana, Google, Google Livres, WorldCat…
** Il est évident que des exemplaires déjà passés en vente nous ont échappé et, sans doute, d’autres, jusque-là non référencés, seront mis au jour au cours des années à venir et modifieront nos statistiques. Quoi qu’il en soit, parmi les vingt et une éditions dont il est question plus haut, une dizaine figurent dans au plus un des catalogues cités ci-dessus et on ne risque guère de se tromper en affirmant qu’elles sont pour le moins très rares.
L’édition de 1791 (13 gravures)
L’illustration de cette édition, la deuxième, ne pose pas de problème. Dutel indique qu’elle est ornée d’un frontispice de P. Chery, gravé par G. Texier [ce que nous n’avons pas cherché à vérifier], et de 12 gravures « avec encadrements à têtes de mort, chaînes et instruments de supplices » (A-594). Nous connaissons deux exemplaires entièrement complets : ceux des ventes Hayoit (Sotheby’s, 28 juin 2001, N°141, relié par Thibaron-Joly) et Nordmann (N°477, décembre 2006, repassé en vente en 2012 : « Maroquin rouge du XIXe siècle aux attributs érotiques et macabres, frontispice et figures remontées sur papier vergé ; quelques feuillets remontés et restaurés »). Cette réédition est sans aucun doute la moins rare de toutes mais les exemplaires que nous avons vus possèdent presque tous une gravure au maximum (le frontispice).
Celui du site Europeana et la fiche du catalogue de la vente Hayoit donnent accès en tout à 11 des 12 gravures mentionnées ci-dessus. Nous avons pu constater que 10 des scènes correspondantes n’appartiennent qu’à cette édition. La onzième, qui fait face à la page 33 du second tome, a été reprise en 1792, 1794, 1797 et 1800.
L’édition de 1792
Toutes les bibliographies s’accordent à affirmer que cette édition comporte en tout 6 gravures. La première est un frontispice imitant celui de Chery. Rappelons quant à nous que l’une* des 5 autres scènes est issue de la deuxième édition. Nous connaissons trois exemplaires en mains privées, dont un seul est susceptible d’être complet : celui de la bibliothèque Jean Bonna, relié à l’époque en veau raciné (Six siècles de littérature française, numéro 150. Le frontispice est reproduit). Celui de la collection Nordmann ne possédait que le frontispice. Le troisième a été vendu le 19 avril 2007 chez Tajan (lot 18, 2 volumes en demi-maroquin rouge à longs grains). Il contient 5 gravures, dont le frontispice, reproduit. Comme nous l’indiquons plus loin, certaines des scènes nouvelles, au nombre de 4 a priori, ont été reprises dans les éditions suivantes.
* Eventuellement deux, puisque nous n’avons pas pu observer le jeu de 1791 dans son intégralité.
L’édition de 1797 en 2 tomes (non illustrée)
Parmi les bibliographes cités plus haut : Gay, Dühren, Cohen-De Ricci, Apollinaire, Lely et Dutel, seul ce dernier mentionne cette édition, sans préciser cependant qu’elle est sans doute antidatée (A-597). Elle serait parue vers 1820. Nous connaissons en tout trois exemplaires en mains privées : lot 135, vente Zoummeroff du 29 avril 1999. Cet exemplaire relié à l’époque en deux volumes en maroquin vert est repassé en vente en 2023 chez Christie’s / lot 370, vente Nordmann, 27 avril 2006 : 2 tomes en un volume, demi-veau de l’époque. 12 figures extraites d’une édition du Diable au corps sont rapportées / lot 22 de la vente Jean-Pierre Faur et Emmanuel Pierrat ; 7 juillet 2007 (repassé en vente en 2019) : les deux tomes reliés ensemble à l’époque, en demi-basane aubergine, dos lisse orné, tranches mouchetées. Il s’agit de l’exemplaire du catalogue Les Fatidiques (Librairie Pierre Saunier). Dans chacun des cas, les notices signalent que l’édition est antidatée. Pas dans The Private Case.
L’édition de 1797 en 4 tomes (4 gravures)
Cette édition est signalée uniquement* par Dutel, qui annonce, comme il se doit, 4 frontispices (A-598). Il ne donne pas de précisions supplémentaires et cite l’exemplaire de la British Library (The Private Case ; P. C. 30.a.3., N° 1622, p. 302). La notice de ce catalogue indique : « Frontispiece to each volume ».
Nous ne connaissons que trois exemplaires en mains privées, complets des quatre volumes dont, dans le meilleur des cas, un seul contient toutes les gravures : l’un, vendu chez Piguet le 8 décembre 2020 (lot 56, relié en 4 volumes demi-veau à coins marbré, dos lisses ornés et dorés, « Zannini cap. » doré en queue au dos [Reliure postérieure] ; il possède uniquement le frontispice du premier tome) ; celui de la vente Leonhardt (lot 1718, 4 volumes reliés à l’époque ; 4 frontispices signalés, mais aucun reproduit. Nous ignorons donc si cet exemplaire est intègre au niveau de l’illustration) et un dernier, relié à l’époque en 2 volumes (aucune gravure ; plats des reliures restaurés ; pièces de tomaison noires ; un feuillet avec les quatre étiquettes destinées aux exemplaires brochés donnant le titre). Nous avons eu également l’occasion de voir deux exemplaires incomplets de deux volumes, l’un avec les deux frontispices requis, l’autre sans aucune illustration.**
Il a été cependant possible de conclure en nous aidant de photographies des deux (seuls) autres exemplaires que nous connaissons : P. C. 30.a.3, cité ci-dessus, qui, nous l’avons vu, comporte 4 figures et celui de la Bibliothèque municipale Méjanes (Aix-en-Provence ; Enf. 35 (1) et Enf. 35 (2) ; 4 tomes en 2 volumes, 3 figures en tout – celle du tome 2 manque). Les trois gravures que ces deux exemplaires ont en commun sont identiques et le frontispice du premier tome est également identique à celui de l’exemplaire Piguet.***
Ainsi, cette édition de 1797 contient au premier des quatre tomes un frontispice imitant celui de l’originale, sur lequel il est écrit : Tom. I (et) Frontispice, et trois autres gravures jouant également le rôle de frontispices, placées en face des titres, avec ces seules mentions : Tom. II., Tom. III. et Tom. IV. Celle du tome III représente par erreur une scène du Tome II et inversement. Ces trois scènes sont inspirées de l’édition de 1792 – qui, pour sa part, en comporte cinq en plus du frontispice imitant celui de l’originale. Il s’agit des figures des T1, p. 184 ; T2, p. 103 et 284 de cette édition antérieure. Les dessins sont inversés, presque identiques, et la forme des cadres est la même ; en particulier on y trouve un cartouche vierge de toute légende. En dehors de l’inversion du sens, les dessins sont très proches.
Notons enfin que toutes les rééditions illustrées de Justine reprennent la célèbre gravure de Chéry qui orne l’originale, dans des versions très proches, mais toutes différentes.
* Dühren évoque une édition de 1797 : « à Londres (Paris), 4 tomes in-18, avec 6 gravures et de nouvelles épisodes. Edition typographique de luxe ». Qu’elle existe ou pas, sa description ne correspond visiblement pas à celle dont il est question ici. Apollinaire, quant à lui, semble s’être basé sur Dühren.
** « 2 tomes [1 et 2] reliés en 1 vol. in-16, frontispice, 143-1 blanche p. et frontispice libre, 143-1 blanche p., demi-vélin ancien, dos lisse, pièce de titre (dos fatigué, piqûres, traces de manipulation). » (passé à deux reprises aux enchères, en Belgique, vers 2022 la seconde fois) / Tomes 3 et 4 reliés ensemble, demi-reliure rouge à coins de la seconde moitié du XIXe, dos orné (d’étoiles ?). « Il manque peut être 1 feuillet (faux titre)? en début du tome 4 ». Aucune gravure.
*** Nous remercions à cette occasion Ingrid Astruc, Vincent Sablayrolles et Philippe Ferrand pour les photos de l’exemplaire de la Bibliothèque Méjanes, très aimablement fournies.
L’édition de 1800 (12 gravures)
Sur le plan de l’illustration, cette édition est de loin la plus intéressante, après la deuxième. Nous en connaissons en tout trois exemplaires en mains privées – dont deux sont incomplets de gravures –, et quatre autres, conservés quant à eux dans des institutions. Parmi ces derniers, deux seulement sont complets du texte. Le seul exemplaire qui n’ait aucun manque est celui de la vente Tony Fekete (Christies, 18 novembre 2014, lot 181, 4 t. en 2 vol. : « The only know copy with the illustrations, these apparently not reproduced anywhere else… it is an apparently unique copy, complete with all the plates » ; c’est également, parmi les trois en mains privées, le seul qui soit relié à l’époque). Le deuxième figurait à la vente Leonhardt (lot 1719, 4 t. en 1 vol., demi-veau moderne dans le style de l’époque, sous étui en toile moderne, ex-libris J. B. Rund. « Our copy is possibly one of a remainder. Hardly browned, a little soiled, closely bound »). Quatre frontispices sont annoncés mais un seul est reproduit dans le catalogue et il n’a en réalité rien à voir avec l’édition : il appartient au premier tome d’une réédition de La Nouvelle Justine. Le troisième et dernier exemplaire en mains privées a été proposé chez Ader le 4 octobre 2023 (Ancienne collection Michel Simon, collection Philippe Brenot et à divers, lot 71, 4 t. en un vol., veau fauve, dos lisse cloisonné et fleuronné avec pièce de titre grenat, coupes ornées, tranches rouges [reliure moderne dans le goût de l’époque]. La notice signale quatre frontispices mais, comme précédemment, la gravure reproduite n’appartient pas à l’édition, elle provient du quatrième tome d’une réédition de La Nouvelle Justine).
Les quatre autres sont : celui de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, numérisé (11 gravures, dont 9 sont en tout point identiques à celles de l’exemplaire Fekete et 2 proviennent d’une autre édition ; il semble avoir été relié à l’époque), et les trois que cite Pascal Pia p. 725-726 de Les Livres de l’Enfer : B.N., Enfer, 505-508, 509-512, 513-514. Le premier n’est pas décrit ; il est donc certainement dénué de toute illustration. Chacun des deux autres est lui aussi incomplet : l’un de deux feuillets, l’autre de deux volumes et les deux, de gravures. Ils en contiennent 7 à eux deux et d’après les indications de Pia [qui sont précises ; les légendes, notamment, sont citées], 6 sont conformes à celles de l’exemplaire Fekete et sont issues de chacune des deux séries de 4 et 7 décrites ci-dessous, La dernière provient d’une autre édition (il s’agit du frontispice imitant celui de l’originale : il n’est pas légendé et Pia précise qu’il est différent de celui de l’exemplaire précédent).
Concernant la question de l’illustration, l’édition de 1800 fait partie de celles pour lesquelles les bibliographies ne se contredisent pas, ou alors de façon non significative. Cohen-De Ricci l’évoque à l’occasion de la description de l’édition de 1792 : « il en existe une imitation ou contrefaçon, en 4 vol., avec 4 jolis frontispices. En Hollande, 1800 ». Dühren et Dutel annoncent « douze gravures dont quatre frontispices » (Dutel A-599). Gay parle de « 4 ou bien 12 figures bien gravées ». Cela dit, aucune autre information n’est donnée.
Après avoir étudié en détail des exemplaires de toutes les rééditions anciennes de Justine*, nous sommes en mesure de décrire l’illustration de cette édition parue en 1800. Comme la comparaison des bibliographies le suggère, elle se décline en deux parties distinctes :
– Premièrement : 8 gravures : 1 frontispice légendé imitant celui de l’originale, dans une version proche mais, comme toujours, différente de celles des autres éditions et 7 scènes érotiques, parfaitement homogènes dans leur conception, légendées elles aussi et comportant une indication de page. Celles des tomes 3 et 4 portent l’indication « Tom. 2 » et pour elles, le mot « page » est abrégé en p. (tandis qu’il est écrit « page… » pour les deux premiers). Surtout, les indications de pages ne correspondent pas à cette édition (de 1800), mais à celle de 1794 et à elle seule : cette partie de l’illustration de 1800 est donc formée de gravures prévues à l’origine pour cette édition antérieure, imprimées à l’époque (mais certainement non utilisées : voir infra). 6 de ces 8 gravures reprennent, en les améliorant, les dessins assez rudimentaires de l’édition de 1792 : on retrouve ainsi, outre le frontispice imitant celui de l’originale, ses 5 autres scènes avec des dessins plus fins et plus élaborés, des environnements parfois différents, d’éventuels ajouts de détails (par exemple, un tableau au mur montrant une femme en train de prier, pour une scène où un religieux fouette Justine). Enfin, certains des dessins sont inversés, d’autres pas. Les deux autres scènes sont quant à elles nouvelles** : elles montrent la mort de Justine, foudroyée***, et une profanation spectaculaire dans une ambiance érotico-macabre.
– Deuxièmement : 4 gravures légendées, érotiques, jouant elles aussi le rôle de frontispices, donnant les indications tom. 1e, tom. 2e etc. Elles sont d’un style nettement différent des 7 autres. Les 4 scènes correspondantes sont également entièrement nouvelles** et n’appartiennent qu’à cette seule édition.
Par la suite, aucune scène des gravures de toutes ces rééditions de Justine ne sera reprise dans l’originale de La Nouvelle Justine.
* Voir le Karlsruher Virtueller Katalog pour celles de 1792, 1794, 1800 et Europeana pour celle de 1791.
** Rappelons toutefois que nous n’avons eu accès qu’à 12 des 13 gravures de l’édition de 1791.
*** Nous disposons d’une gravure seule, en tout point identique, y compris la légende (« Madame de Lorsange jette un cri et s’évanouit ») et les caractères « Tom. », qui précèdent le numéro du tome auquel elle correspond. Cependant, au lieu « Tom. 4 », on lit « Tom. 3 » et il n’y a plus d’indication de page. On ne constate aucune trace de grattage sur le papier.
L’édition de 1794 (6 ou 8 gravures)
Un exemplaire figure dans The Private Case (P. C. 30.a.2.). Il contient un frontispice qui imite celui de l’originale et 5 figures, qui reprennent l’ensemble des scènes de 1792 : de même qu’en 1797, mais contrairement à l’édition de 1800, les dessins sont extrêmement proches de ceux de 1792 (et donc, eux aussi rudimentaires), non inversés cette fois, et la présentation est identique (même cadre, aucune légende etc.) Enfin, comme précédemment, les indications de pages de ce jeu différent de tous les autres ne s’accordent qu’avec cette édition de 1794*.
On constate par conséquent qu’un second jeu de gravures a été conçu pour l’édition de 1794.
Comme les 6 gravures mentionnées ne sont que des copies de celles de 1792, exécutées sans davantage de souci esthétique, il nous semble cohérent de supposer que l’on n’a pas cherché à les compléter par la mort de Justine et la scène de profanation dont il est question plus haut : dans ce cas, P. C. 30.a.2. serait complet. Cette conclusion s’accorde avec la notice de Cohen, qui écrit : « fr. allégorique non signé. On trouve, dit-on, des exemplaires avec 6 fig. libres non signées, le fr. compris ». Notons cependant que Dühren indique 8 images obscènes dont un frontispice allégorique sans nom d’auteur, ce qui pourrait correspondre au jeu utilisé en 1800 (avant lui, Jules Janin, avait également mentionné 8 gravures). Dutel, qui indique que cette édition est ornée des 6 gravures de 1792, fait quant à lui erreur (A-596).
Il reste les questions que pose l’existence de deux jeux de gravures pour la seule édition de 1794. Il est bien sûr logique de penser qu’un seul des deux a été utilisé à l’époque (ce serait donc celui qui orne P. C. 30.a.2) et que, pour une raison ou pour une autre, celles-ci ne manquant pas, le jeu de huit, indisponible au moment de la commercialisation, a été remplacé à la hâte par l’autre, puis utilisé seulement six ans après, en 1800. Mais les descriptions de Dühren et Janin laissent songeur. Cela dit, il est possible que Dühren ait copié son prédécesseur et que ce dernier ait pour sa part commis une erreur… Nous ne connaissons que deux autres exemplaires de cette édition de 1794 : celui, mentionné plus haut, visible sur le Karlsruher Virtueller Katalog et conservé à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, dont les 4 gravures proviennent de l’édition de 1792, et un autre, vendu le 14 décembre 1994 chez Binoche, Renaud (relié au 20 siècle par Mercher, il comportait « 6 gravures libres » ; cette description ne correspond pas à celle d’un exemplaire conforme).
* Sauf pour une, pour laquelle il est écrit Tom II [et] Page 1, ce qui pourrait correspondre non pas à une erreur mais à son positionnement dans le volume en tant que frontispice. En effet la notice de The Private Case annonce : « two frontispieces and four plates ».
L’édition de 1801 (non illustrée)
Cette édition n’est citée que par Dutel, qui indique qu’elle n’est pas illustrée (A-600). Elle est absente de The Private Case. Pia décrit un exemplaire que l’on peut consulter intégralement sur Gallica (p. 726, Enfer 1175-1178, sans illustration). Nous en connaissons deux en mains privées : celui photographié pour notre article sur Bibliophilie.com, orné d’une figure appartenant à une édition du Portier des Chartreux, et l’exemplaire de la collection Bonna, cité dans Sade, un athée en amour (n° 77). La reliure est postérieure, quatre gravures sont annoncées ; la seule qui soit reproduite provient du jeu prévu pour l’édition de 1794 et utilisé en 1800. On peut donc envisager en effet que cette édition ne soit pas illustrée (de même que celle de 1797, en 2 volumes).
Dutel estime que cette édition a été publiée soit en 1801, soit vers 1830, mais la reliure visible sur Bibliophilie.com suffit à prouver que la date de 1830 ne peut convenir (l’allure générale, la typographie confirment ce fait).