[MANUSCRIT]. [AFFAIRE CADIÈRE]. Cinq manuscrits du premier tiers du XVIIIème siècle. (1) : Les veritables sentimens de Mlle Cadiere tels qu’elle les a donnés à son Confesseur, Ecrits de sa propre main pour les rendre publics. 9 p. sur 6 ff. in-4 (287×194 mm). Encre brune, papier vergé. Broché ; (2) : Careme de Mademoiselle Cadiere. Mémoire des faveurs dont j’ay jouy par La Grande Misericorde du seigneur pendant tout le Cours du careme passé l’an 1730. 26 p. sur 13 ff. in-4 (287×195 mm). Encre brune, papier vergé. Broché ; (3) : [Plaidoyer en faveur du Père Girard contre Catherine Cadière]. 34 p. sur 36 ff. in-4 (284×190 mm). Encre brune, papier vergé. Broché ; (4) : Interrogatoires Et Reponses De La dlle Cadière Le 3 8bre 1731. 16 p. sur 4 ff. in-8 (245×169 mm). Encre brune, papier vergé. En feuilles ; (5) : lettre manuscrite, s.l.n.d. 2 p. in-8 (245×175 mm). Encre brune, papier vergé. Chemise et étui modernes amateur de papier Lokta gris. Restaurations malhabiles au dernier feuillet du deuxième manuscrit.
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L’affaire Girard-Cadière, la dernière où une cour souveraine rendit un arrêt où une accusation en crime de sorcellerie était mise en question, eut lieu dans les années 1730, c’est-à-dire presque cinquante ans après l’arrêt officiel des poursuites pour crime de sorcellerie. Robert Mandrou explique p. 487-534 que l’édit de 1682 trouva globalement assez rapidement l’approbation des magistrats chargés de son application mais que (bien sûr) les mentalités furent beaucoup plus lentes à évoluer, ce dont témoignent par exemple certaines publications de l’époque, ou par exemple l’exécution d’un sorcier à Bordeaux en 1718 – apparemment la dernière pour la France ; l’homme avait noué l’aiguillette.
Il y eut encore quelques affaires de possession après cette date, mais celles-ci tournèrent à l’inverse de celles du siècle précédent malgré la persistance de l’existence d’une bien réelle opposition d’opinions. Guy Bechtel écrit : « Les derniers procès français n’eurent que de lointains rapports avec la sorcellerie. Des bergers furent parfois jugés (bergers briards en 1687-1691, bergers normands en 1720, bergers de Laon vers 1750). Ces gens empoisonnaient les troupeaux de leurs voisins et prononçaient quelques impiétés ; ils furent condamnés, selon les termes de l’édit de 1682, pour sacrilège et empoisonnement, tandis qu’on négligeait l’accusation d’envoûtement et de conjuration magique. En 1729-1733, sur le tombeau d’un prêtre janséniste, au cimetière de Saint-Médard à Paris, des catholiques entraient en convulsions, avalant des cailloux et parlant des langues inconnues. Ces convulsionnaires n’étaient qu’une sorte nouvelle de possédés et le roi se borna à faire fermer le cimetière. En 1729, un confesseur de Provence, le père Jean-Baptiste Girard [un Jésuite], séduisit la jeune Catherine Cadière [jeune fille fragile] et, par la suite, ils s’accusèrent l’un l’autre de séduction diabolique et de sortilège. Malgré un premier jugement de la cour d’Aix qui condamnait la Cadière à mort, cette dispute autour d’un avortement et d’un inceste spirituel se termina en 1731, après beaucoup de polémiques, de la façon la plus sensée : le père Girard fut renvoyé au tribunal de son évêque, et la Cadière, qui avait beaucoup insulté le père amoureux, fut condamnée pour calomnie. En France, la question était réglée. » (p. 644 du sous-chapitre La volonté d’en finir du chapitre Les résistances et la fin des poursuites)
Et R. Mandrou conclut quant à lui : « Ce procès ne saurait être considéré comme un procès de sorcellerie mais il montre combien la préoccupation commune des interventions diaboliques a été lente à régresser. Par contre les attendus définitifs et même les réquisitions du procureur général ne firent état que des crimes admis par le nouveau droit promulgué en 1682. »
Le premier manuscrit est intitulé Les véritables sentimens de Melle Cadière tels qu’elle les a donnés à son confesseur, écrits de sa propre main pour les rendre publics. C’est une copie du texte XXIII (XVIII en fait) du tome second du Recueil général des pièces concernant le Procès entre la Demoiselle Cadiere, de la ville de Toulon et le Père Girard…, s.l., 1731. Il débute ainsi : « Dans le triste état où je me vois réduite, les larmes qui sont la ressource ordinaire de mon sexe, n’ont rien pour moy de consolant, accablée sous le poids de l’iniquité, je n’attends mon secours que du Très-haut… »
Le confesseur en question était le père Nicolas, un janséniste. Catherine était sous son influence. Il est question de lui dans le quatrième document. Dans le roman Thérèse philosophe, inspiré de cette affaire, il est représenté par le jeune prêtre qui tombe amoureux d’Éradice/Catherine.
Le titre du second est Careme de Mademoiselle Cadiere. Mémoire des faveurs dont j’ay jouy par La Grande Misericorde du Seigneur pendant tout le cours du careme passé l’an 1730. Il est copié du même livre que le précédent. En voici le début : « Le 21 du mois de février sur les 8 heures du matin me trouvant à table avec tous mes parens tout à coup Le Seigneur m’apparut sous la figure humaine et les impressions que je ressentis de sa presence furent si fortes dans l’instant qu’elles m’obligèrent à me dérober de la vue de mes parens et à me retirer dans ma chambre pour donner toute l’étendue aux doux mouvements de la Grace… »
Le troisième document ne porte pas de titre ; il s’agit d’un plaidoyer en faveur du père Girard contre Catherine Cadière ; nous ignorons d’où il est extrait : « on trouve dans ses lettres de l’esprit et de l’éloquence joints à une piété tendre, mais donnant trop dans les idées de miracles et de dons surnaturels […] on reconnaît pourtant que cette fille avait l’imagination et peut-estre le cœur gâtez par des idées sales. Si elle a des visions, on y trouve un homme et une femme nuds en acte de péché mortel d’impureté » [les 7 derniers mots soulignés].
Le quatrième document retranscrit un interrogatoire de Catherine daté du 3 octobre 1731, une confrontation entre celle-ci et le père Girard (jeudi 4 Octobre), un interrogatoire du père Nicolas, et enfin les résultats des délibérés du procès, le 8 octobre. On peut lire les noms de ceux qui ont voté pour que les deux protagonistes soient brûlés vifs ou pour le bannissement à vie, ou enfin pour le renvoi de « la fille à sa mère »…
Le cinquième document est particulièrement intéressant et rare : il s’agit d’une lettre entièrement consacrée à l’affaire, écrite par un contemporain à une de ses connaissances une fois le jugement rendu. Il lui donne de nombreux détails : « Vous sçavés peut etre déjà que la grande affaire du père gerard (sic) et de La Cadiere est terminée par un arrest, mais comme vous pourriez ignorer tout le detail vous serés bien aise de l’apprendre avec touttes Les circonstances […] Le père gerard a eu douze voix pour estre brullé, une qui le condamnoit au Bannissement, et onze hors de ( ?) La Cadière […], une pour estre mise dans un couvent, et cinq a faire amande honnorable devant le St Sacrement sans huissier… […] Les juges qui avoint esté pour La Cadiere furent accompagnés avec des Battements de mains, et des exclamations publiques, et ceux qui avoint esté pour le P. Girard, furent hués et sifflés […] » Il raconte ensuite qu’à l’arrivée à Toulon du religieux, le peuple a cherché à le faire brûler ; il a fallu protéger la prison pendant plusieurs jours. « On croit encore que Cette affaire aura des grandes suittes, je vous apprendray ce qui m’en reviendra s’il en vaut la peine. On me mande encore que Mr Le Bretp.p. a beaucoup altéré sa réputation dans cette affaire, il se peut bien qu’il a eu Des ordres de la Cour » [il s’agit du président du Parlement de Provence, qui instruisit l’affaire ; Lebret était proche des jésuites, qui aidèrent beaucoup Girard].
Cette lettre provient de la collection Philippe Zoummeroff.
Voir dans la partie « Vampires » la fiche consacrée au Glaneur historique (1732).