CALMET (Augustin, Dom). Dissertations sur les apparitions des esprits, et sur les vampires, ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc. Nouvelle [deuxième] édition revuë et corrigée. À Einsidlen. Dans la Princière Abbaïe par Jean Everhard Kalin. 1749. Deux tomes en deux volumes, veau d’époque, tranches rouges (reliure restaurée, usures). 12 ff. n. ch. (titre, préface, table), 431 p. / 7 ff. (titre, préface, table), 234 p., 2 ff. n. ch. (Permission, Approbation, Errata). 98×169 mm

3700 euros

Un exemplaire remarquable

L’exemplaire comporte ces inscriptions manuscrites au titre : « Ex dono. R. a. Calmet. » et, plus loin, « Nicolas. » (souligné). Un portrait de l’auteur, qui se vendait chez E. Desrochers (1668-1741), a été relié à l’époque, en même temps que l’exemplaire ; il ne fait pas partie de l’édition et joue le rôle de frontispice. Selon nos informations, le livre provient de la bibliothèque d’un instituteur de Senones, la ville où l’auteur vécut de 1728 jusqu’à sa mort ; il aurait été acheté dans les années 1970 : nous joignons en tout état de cause notre correspondance avec le commissaire priseur après la vente où il figurait – Bibliothèque d’un Bibliophile lorrain (2ème partie) et à divers, Hôtel des ventes de Saint-Dié, 16 novembre 2019, N° 73. Un autre exemplaire de cette édition, comportant lui aussi un portrait ajouté et un ex-dono, est passé en vente publique le samedi 16 avril 2011 : « 2 vol. in 12, veau orné de l’époque. Portrait de l’auteur en frontispice, ex-dono de l’auteur. » (Laurent Bernard, Hôtel des ventes de Dreux, lot 144).

Nous n’avons jamais eu l’occasion de voir d’autres exemplaires offerts par Calmet.

C’est en 1741 que le bénédictin Dom Augustin Calmet commence de travailler sur sa Dissertation, qui paraîtra cinq ans après, tardivement, donc, relativement à la chronologie des événements serbes. Il indique dans la préface, après avoir averti qu’il ne s’adresse pas aux « prétendus esprits forts, qui rejettent tout, pour se distinguer et pour se mettre au dessus du commun », qu’il a entrepris ce travail pour sa propre instruction, pour se former à lui-même une idée juste de tout ce qu’on dit sur les apparitions des Anges, du démon et des âmes séparées du corps. Puis : « Je n’ai jamais eu la pensée de traiter à fond la matiere des apparitions ; je n’en ai traité, pour ainsi dire, que par hasard et par occasion. Mon premier et principal objet a été de parler des vampires de Hongrie. En ramassant mes matériaux sur ce sujet, il s’en est trouvé beaucoup qui concernoient les apparitions ; leur grand nombre causoit de l’embarras à ce traité des vampires. J’en ai détaché une partie, et en ai composé cette dissertation sur les apparitions [il évoque ici le contenu du premier tome][…] Car j’avoue que j’ai toujours été fort frappé de ce qu’on raconte des vampires ou des revenans de Hongrie, de Moravie, de Pologne, des brucolaques […] Je vais donc examiner cette question en historien, en philosophe, en théologien […] »

La Dissertation, que son écriture soignée, ménageant les effets et notamment l’hésitation, inscrit dans la genèse du genre fantastique (A. Faivre), rencontra, grâce à ses « dizaines d’histoires croustillantes » (D. S-H), un véritable succès de librairie. Elle connut en effet deux autres rééditions : en 1751 et 1759, et bénéficia par ailleurs de traductions contemporaines en allemand, en anglais et en italien. La nôtre est beaucoup plus complète que l’originale, qui totalisait 500 pages.

En revanche, sa réception dans les milieux intellectuels et religieux fut décevante. Malgré l’immense érudition qui lui avait valu d’être profondément respecté et de jouir de l’estime des savants et des souverains européens, le bénédictin fut durablement raillé, parfois cruellement (en particulier par Voltaire, en 1772, dans les Questions sur l’Encyclopédie), soupçonné de « sénilité »…

On ne comprenait pas qu’il ait pu écrire un tel livre, s’intéresser à de telles histoires, raviver un tel débat.*

Il importe cependant de souligner que si certaines critiques furent injustes, l’auteur y avait prêté le flanc puisque, tout en tenant un discours prônant la soumission à Dieu dont, disait-il, il ne nous est pas permis de connaître la volonté, « cet homme de foi doublé d’un chercheur curieux et infatigable, d’un homme de science », faisait parallèlement preuve d’une véritable démarche scientifique pour tenter d’interpréter les faits dont il avait eu connaissance, visiblement fasciné par les témoignages de tous ces témoins dignes de foi, paraissant penser que « cette fois-ci il ne s’agissait peut-être pas d’une fiction, mais d’événements bien réels », fragilisant ainsi sa crédibilité par cette « difficile cohabitation », source de contradictions et d’incohérences dans son propos (D. S-H. ; A. Faivre note pour sa part que « le bénédictin donne l’impression tantôt de croire, tantôt de ne pas croire, aux vampires »).

Lorsque, à la fin du second tome, dans lequel il a notamment discuté des morts mâcheurs, des broucolaques, des récits du Mercure galant, du cadaver sanguisugus, et relaté des cas inédits rapportés par ses divers correspondants, il « veut mettre fin à ce double discours, et condamne fermement les croyances aux vampires, en disant qu’elles sont vaines et ridicules, on a du mal à le croire. »

Une dernière précision donnée par D. S-H. : Dom Calmet qualifie constamment dans son livre Peter Plogojovitz et Arnold Paole de « vampires de Hongrie », omettant le fait que l’annexion de la Serbie à l’Empire des Habsbourg n’avait duré que vingt ans. À force d’être réimprimées et citées machinalement, sans être localisées avec précision, les histoires de ces deux vampires finiront par être associées non plus au folklore slave mais au folklore hongrois, faisant à tort de la Hongrie le berceau du vampirisme – alors même que la figure du vampire est étrangère aux croyances populaires des Magyars.

Sources : D. S-H., pages 169-185, 196-201 et 318. A. Faivre : Colloque de Cerisy, page 60. Concernant la remarque de Calmet sur les esprits forts, voir la notice des Lettres juives ; 1737 et celle de la Revue Britannique (1837). Voir aussi, dans le livre de D. S-H., les commentaires sur la nécessité dans laquelle se trouvait à cette époque l’Église, d’être capable, afin d’assurer sa crédibilité, de décider si certains phénomènes mystérieux qui se produisaient relevaient du miracle ou du faux prodige ; cela avait conduit le pape Benoît XIV (1675-1758) à énoncer lui-même dans son livre sur les béatifications et les canonisations des saints (1734), des règles claires et surtout infaillibles permettant aux religieux, fréquemment confrontés à ce type de situation qu’ils ne savaient guère traiter autrement qu’avec pusillanimité, de distinguer le miracle de l’imposture.

Notons pour notre part que Calmet est apparemment seul, avec La Varenne, à connaître l’existence des débats allemands, et qu’il ne discute que de quelques titres. À cet égard, ce qu’il déclare sur la mastication des morts, qu’avaient étudiée notamment Rohr, Ranft et les auteurs du Malleus Maleficarum, est significatif : « Tout ce qu’on dit des personnes mortes, qui mâchent sous la terre dans leurs tombeaux, est si pitoyable et si puerile qu’il ne merite pas une refutation serieuse. Tout le monde convient qu’il n’arrive que trop souvent, qu’on enterre des personnes, qui ne sont pas bien mortes […] » (page 224 de cette édition).

* Notons que Calmet signale qu’un religieux polonais, Sliviski, avait eu l’intention lui aussi d’écrire une dissertation théologique et physique sur le vampirisme. Il avait renoncé par manque de temps. (tome 2, p. 218) D’après le Journal politique, ou Gazette des Gazettes, il contribua beaucoup, trente ans durant, au combat comtre la croyance aux vampires et aux possédés (numéro de juin 1774, première quinzaine, p. 69-70).

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