Martainville (Alphonse). Le Drapeau blanc, Journal de la politique, de la littérature et des théâtres. Deux volumes in-folio. Volume I : du N° 1 (16 juin 1819) au N° 199 (31 décembre 1819) ; Volume II : du N° 1 (1er janvier 1820) au N° 182 (30 juin 1820). Le numéro du 24 août 1819 ne figure pas ; certains autres ne sont pas reliés dans l’ordre. Chacun comporte quatre pages ; le texte est sur deux colonnes. Les feuillets sont entièrement non rognés. 235×362 mm. Cartonnages de l’époque usagés, peu de rousseurs.

700 euros

Presse et naissance du vampire littéraire.

Tête de collection de ce quotidien ultra-royaliste. Son fondateur, Alphonse de Martainville, avait fait paraître dès le mois de janvier une publication portant le même titre, mais présentant des caractéristiques très différentes qui lui permettaient de contourner les lois sur la censure. Ce n’était pas un quotidien, le format était plus petit et les numéros comportaient plus de quarante pages.

Ces deux volumes en condition d’époque sont d’un très grand intérêt en tant que témoins de la naissance du vampire littéraire en France : ils couvrent précisément la période durant laquelle sont parus les premiers textes : la traduction de la nouvelle de Polidori, Lord Ruthwen, et les premières pièces de théâtre.

D’autres quotidiens de cette époque proposent des articles sur le sujet, mais ceux du Drapeau blanc sont les plus marquants, du fait que Charles Nodier qui joua, comme on le sait, un rôle clé dans l’émergence du vampire en littérature, y intervient de façon significative – c’était un collaborateur régulier.

Certains des neuf articles cités ci-dessous sont commentés dans des fiches précédentes ; tous peuvent être lus sur Rétronews :

– 1er juillet 1819 : très long compte-rendu par Nodier de la traduction par H. Faber de la nouvelle de Polidori ; il occupe plus de la moitié d’une page. Rappelons que cette traduction est le point de départ de la littérature vampirique en France et que cet article est une étape très marquante relativement à la mainmise de Nodier sur le genre.

– 12 février 1820 : annonce de la parution prochaine du roman Lord Ruthwen, ou les Vampires (« Des vampires romantiques se préparent, dit-on, à nous consoler pendant quelques heures des vampires politiques. On annonce un roman fort piquant intitulé : Lord Ruthwen, ou les vampires. On assure que l’auteur de Jean Sbogar n’est pas étranger à la composition de cet ouvrage, dont le succès ne peut être incertain. Ce roman paraîtra sous peu de jours… »).

– 26 février : lettre de Nodier contestant la paternité de Lord Ruthwen (vingt lignes).

– 27 février : deux lettres concernant le problème soulevé la veille : l’une est la réponse de Ladvocat, l’autre est de Nodier, qui finit par s’en remettre au jugement de l’opinion publique (dix et quarante lignes).

– 2 mars : article anonyme portant sur la querelle entre les deux hommes (« Voyez jusqu’où peut aller la malice des gens qui se plaisent à en supposer aux autres ! Ne dit-on pas dans le monde que M. Nodier et le libraire Ladvocat n’ont entretenu le public de leur petit différend, que pour assurer ou accroître la vogue de Lord Ruthwen, ou les Vampires. En effet, comment ne pas griller d’envie de lire un roman dont il est tant question, auquel les uns prétendent que M. Nodier a eu sa part, tandis que les autres ne voient en lui que l’éditeur ; mais s’en fiant à son goût, ils croient à la recommandation qu’il accorde au livre qu’il nie dans la préface qu’il ne nie pas… »). Notons que le journaliste fait erreur, comme nous l’avons vu précédemment. Dix-huit lignes.

– 12 mai : très brève mention de la prochaine représentation de la pièce de Nodier, Le Vampire.

– 15 juin : compte-rendu de la pièce de Nodier (vingt-six lignes) : « Il y a eu néanmoins une grande témérité aux auteurs de la pièce, d’oser risquer sur la scène ce qui peut à peine se supporter en récit, et de présenter aux yeux un spectre, qui n’entretient son épouvantable existence qu’en savourant le sang des jeunes fiancées. […] Cette débauche a été du goût du public, qui a vivement applaudi la pièce, les acteurs et la décoration. Philippe, qui représentait le vampire, a parfaitement réussi à prendre la physionomie de son rôle ; il avait bien l’air d’un déterré. Les auteurs du mélodrame ont eu la modestie de garder l’anonyme… »

– 19 juin : compte-rendu d’une trentaine de lignes de la première représentation de la pièce Le Vampire au Théâtre du Vaudeville. À la fin : « Les auteurs, demandés, ont désiré garder l’anonyme [il s’agit de Scribe et Mélesville]. » On lit aussi, un peu plus loin, cette fois à la rubrique « Nouvelles des théâtres », cette information : « Chaque théâtre veut avoir au moins son Vampire. Les Variétés vont nous en offrir trois, et l’on assure que nos petits théâtres préparent M. Sangsue, ou le Médecin du village des Vertus, et le Vampire gastronome. »

– 24 juin : compte-rendu de la pièce Les trois vampires, ou le clair de lune (une trentaine de lignes). Les auteurs, dont les noms ne sont pas donnés, sont Brazier, Gabriel et Armand.

Notons par ailleurs la présence de deux articles intéressants, relativement à la persistance de la croyance à la sorcellerie :

– 23 juin 1819 : une mère « crédule » dont le fils, mayeur, est « tombé depuis quelques temps dans un état de langueur dont on ne pouvait deviner la cause », consulte une diseuse de bonne aventure, qui accuse la femme du garde champêtre d’avoir « ensorcelé » l’homme. Elle va alors voir cette femme, l’accable d’injures, lui reproche d’avoir fait « l’essai de sortilèges abominables » et ajoute que si elle ne détruit pas le charme, elle la brûlera. L’autre proteste en vain, jure qu’elle n’est pas sorcière. « Un grand feu avait été allumé : la mère et les sœurs du mayeur se jettent, lui présent, sur leur victime et la plongent dans les flammes. » La pauvre femme effraie heureusement ses bourreaux par ses cris et réussit à s’échapper, « une partie du corps à demi-brûlée ». Sa plainte n’est pas reçue, faute de témoins ; le fils intente des poursuites en calomnie… (vingt-trois lignes)

– 8 août 1819 : Une femme de quatre-vingt ans tombe dans un piège tendu par cinq personnes, dont un couple qu’elle connaît, qui lui reproche d’avoir ensorcelé un de ses enfants. Ils la baillonnent, la lient à un arbre, allument un feu, puis prennent la fuite. « La malheureuse femme aurait infailliblement péri, si, parvenant enfin à faire entendre ses cris, elle n’avait attiré à elle quelques personnes qui la retirèrent du milieu des flammes. Son pied gauche est presque entièrement grillé. Le ministère public poursuit en ce moment l’auteur de ce crime atroce. » (seize lignes)

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