[NODIER (Charles)]. Le Vampire, Mélodrame en trois actes, avec un prologue, Par M*** [Charles Nodier, Pierre Carmouche et Achille de Jouffroy]. Musique de M. Alexandre Piccini ; Décors de M. Ciceri. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 13 juin 1820. Paris, Barba, 1820. Un volume in-8 broché, entièrement non rogné. 56 pages (140×213 mm). Quelques déchirures avec petits manques au dos (sans gravité). Édition originale.
900 euros
La toute première adaptation sur une scène mondiale de la nouvelle de Polidori.
Édition originale rare et, dans le cas présent, « telle que parue ». Elle fut publiée au plus tard le 23 juin, d’après une annonce publicitaire de la Gazette de France.
Cette pièce, essentielle relativement au développement du thème littéraire du vampire dans le monde, semble avoir été écrite au moins en partie dès le mois de juillet 1819. Elle fut représentée deux jours avant celle de scribe, qui précéda pour sa part d’une semaine celle de Brazier ; toutes deux sont également inspirées de la nouvelle anglaise. Plusieurs autres pièces furent jouées en 1820.
Le Vampire donna un nouveau souffle au thème, celui que permet une scène de théâtre ; le succès populaire fut prodigieux, tandis qu’une partie de la critique se désolait : « Savez-vous de quoi s’occupe aujourd’hui le public parisien, si délicat sur les convenances, si dédaigneux dans ses goûts, si difficile dans le choix de son plaisir ? […] Le public parisien s’occupe de vampires ; les vampires sont le sujet des conversations des petites-maîtresses ; les jeunes gens et les jeunes filles vont voir les vampires. […] S’il y a quelque chose de plus difficile à concevoir que cette étrange production, c’est le succès prodigieux qu’elle obtient. […] On prétend que l’auteur de Jean Sbogar n’est pas étranger aux paroles de ce mélodrame, et c’est un grand tort qu’on lui fait ; si, en effet, Jean Sbogar n’est pas l’œuvre d’un esprit entièrement sain, le vampire est la production d’un fou furieux qu’il faudrait enfermer. » (Lettres normandes, 20 juin 1820)
Ces pièces, qui procuraient des gains substantiels, étaient susceptibles d’entacher la réputation des auteurs, surtout lorsque ceux-ci les multipliaient ; ils recouraient donc parfois, comme ici, à l’anonymat. Le nom de Nodier fut cependant révélé au bout de quelques jours dans la presse.
L’œuvre fut adaptée à Londres dès le début du mois d’août sous le titre The Vampire or the bride of the Isles. Ce spectacle fut transposé à la scène américaine en 1820, et repris en 1830. Il fut également proposé au public parisien en 1825 (cf H. R. Viets).
Jean Marigny fait remarquer que les pièces sur le thème du vampire représentées en Angleterre au XIXe siècle sont pour la plupart basées sur la nouvelle de Polidori et relèvent, dans ce cas, « plus du plagiat que d’une véritable création littéraire : l’influence étrangère que l’on y décèle, et en particulier du théâtre français de boulevard, fait qu’il ne s’agit pas d’un phénomène culturel spécifiquement anglo-saxon. »*
Le Vampire inspirera aussi, notamment, un opéra du belge Joseph Mengal en 1826 et deux autres, allemands, en 1828 : l’un de Marschner, l’autre de Lindpaintner. Alexandre Dumas l’imitera à son tour en 1851. Ainsi, Charles Nodier qui s’était fait spécialiste de la littérature et des coutumes des peuples slaves après son séjour illyrien attacha ensuite définitivement son nom à la naissance du vampire littéraire en France.** Avec son article de juillet 1819 sur la traduction d’Henri Faber, sa participation à Lord Ruthwen, la coécriture de ce mélodrame, puis Smarra ou les démons de la nuit en 1821, il fit preuve d’une forme d’omniprésence, n’étant étranger qu’à l’Histoire des vampires et des spectres malfaisans, paru à la fin de l’année 1820 et Infernaliana (1822), qui, tous deux, semblent devoir être attribués à Collin de Plancy, auteur avisé lui aussi, mais moins réactif dans le cas présent.
Nodier a de cette façon ouvert la voie à des écrivains tels que Gautier, Féval, Ponson du Terrail, Dumas et, avant eux, Lamothe-Langon et Mérimée qui, en 1827, allait revendiquer clairement à son tour le statut de spécialiste des « choses d’Illyrie » en publiant La Guzla. Il abordera par la suite encore deux fois le sujet, dans l’article De quelques phénomènes du sommeil (1831) et dans la courte nouvelle Le Docteur Guntz (1832). P. G. Castex note au sujet de l’article que les révélations qui y sont faites sur ses premiers contacts avec le vampirisme, sont sujettes à questionnement : elles sont très tardives et on n’en retrouve aucune trace ou allusion dans des écrits antérieurs ou dans sa correspondance (page 130).
L’auteur de Trilby participera ensuite à d’autres pièces à caractère fantastique, qu’il ne signera pas non plus : Bertram (1821), Faust (1828), et peut-être Le Monstre et le Magicien, en 1826 (adaptée de Presumption, or the Fate of Frankenstein). Ginette Picat-Guinoiseau note qu’il est difficile de façon générale d’appréhender la part de chacun des coauteurs. Dans le cas du Prologue du Vampire, celle de Nodier est prépondérante : le traitement des personnages surnaturels, ainsi que le rythme de certaines répliques font penser à Smarra. Peut-être faut-il aussi lui attribuer le texte des passages chantés. (Nodier et le Théâtre)
Notons enfin que la première (tentative d’) adaptation du roman Frankenstein, en 1821, sera là encore le fait d’un auteur français, quelques semaines à peine après la parution de la traduction, deux ans avant la première pièce anglaise. Il en subsiste quelques pages manuscrites et une mention dans un journal – cf Steven Earl Forry : Dramatizations of Frankenstein, 1821-1986 : A Comprehensive List.
Concernant l’époque à laquelle la pièce a été écrite, voir notre bibliographie.
* Le Vampire dans la littérature anglo-saxonne, pages 401-410.
** Voir à ce sujet : Daniel Sangsue : Nodier et le commerce du vampire. In Revue d’histoire littéraire de la France 1998/2 (no 98), ainsi que : Les vampires littéraires. In : Littérature, n°75, 1989. Nous abordons aussi la question dans la bibliographie.