MERCURE GALANT. Aoust 1692. Paris, Chez Chez G. de Luyne, T. Girard, Et Michel Brunet, 1692. Édition originale. Pet. in-8 (145 x 84 mm). 334 p., 1 f.n.ch. 2 gravures, une médaille et un feuillet de musique replié. Veau brun moucheté, dos à cinq nerfs orné, caissons et fleurons dorés, tranches dorées (reliure de l’époque). Reliure usée, coiffes manquantes.

230 euros

Ce numéro contient aux p. 114-128 un article anonyme : Lettre touchant un prodige arrivé à Lion (datée du 31 juillet 1692). Il débute ainsi :

« Vous aurez peut estre oüy parler d’un Prodige, qui fait grand bruit à Lyon. La lettre qui suit vous en apprendra les circonstances. Je ne change rien aux termes, afin que chacun fasse là-dessus les raisonnemens qu’il luy plaira… Le 5. de ce mois, un Artisan de cette Ville qui vendoit du vin pour un Bourgeois, ayant esté attiré dans sa cave par des gens qui feignoient de vouloir en acheter, y fut assassiné avec sa femme, qui y estoit descenduë pour luy éclairer. Après cet assassinat, on leur vola cinq cens francs dans la boutique qui leur servoit de Chambre. Un jeune homme de Dauphiné qui vendoit du vin dans le mesme quartier, épouvanté de ce double meurtre, et voyant que toutes les diligences que les Officiers de Justice avoient faites pour en découvrir les Auteurs, avoient esté inutiles, leur dit qu’il avoit un Voisin à la Campagne [Jacques Aymar] qui cherchant des eaux, et se servant d’une baguette pour les trouver, avoit découvert dans la cave d’un cabaret, par le moyen de cette mesme baguette, un corps enfermé dans un tonneau, et que cette premiere découverte l’ayant engagé à d’autres épreuves, il avoit reconnu que sa baguette remuoit sur le lieu où des Criminels avoient passé, avec la mesme agitation que sur les rameaux, et les écoulemens des fontaines, dont il cherchoit les sources […] On luy donna du premier bois qu’on trouva, et il commença à poser sa baguette dans le fonds de cette cave, où elle ne fit aucun mouvement que sur le lieu où l’Artisan avoit esté assassiné. On s’apperçût d’abord non-seulement d’une agitation extraordinaire de la Baguette, mais que cet homme pâlit et tomba en sueur, ce qui redoubla quand il s’avança jusqu’à la place où le meurtre de la Femme avoit esté fait. On le laissa suivre le mouvement de sa Baguette, qui le conduisit directement à la boutique où les Assassins avoient fait le vol des cinq cens francs, et de là jusqu’à la porte du Pont du Rhône. Elle estoit fermée parce qu’on n’avoit voulu faire cette épreuve que la nuit, ce qui fut cause que l’on attendit jusqu’au lendemain qu’elle fut ouverte. Le paysan trouva que les Criminels avoient passé le pont, que pour n’entrer pas dans le Fauxbourg ils avoient évité les Isles qui sont le long de cette Riviere, et qu’ils estoient néanmoins entrez dans la maison d’un Jardinier. Il suivit leur piste jusqu’à une lieuë de Lyon, toûjours sur le bord du Rhône […] »

Cette lettre est peut-être la première occurrence dans une publication de cette fameuse affaire mise au jour un mois plus tôt, où des assassins furent découverts grâce à la baguette divinatoire. Le cas d’Aymar ne se distinguait guère des quantités de relations de prodiges qui fleurissaient à l’époque dans les gazettes mais, à la différence des autres, il fit l’objet d’un débat intense lancé par cet article. Le Mercure Galant y consacra plus de 260 pages entre 1692 et 1693.

Plusieurs grandes figures de l’époque s’affrontèrent : Malebranche, partisan de l’intervention diabolique, Leibniz, opposé à ce dernier, Pierre Le Brun, l’abbé de Vallemont, Claude-François Ménestrier… Mais ni les clercs, ni les savants ne furent capables d’argumenter de façon décisive et la solution vint d’une initiative du prince de Condé, qui soumit tout simplement le charlatan à quelques tests. Par exemple de l’or fut caché dans un parc, et ce dernier ne le trouva pas. Penaud, Aymar avoua qu’il n’avait cherché qu’à gagner sa vie. « Leibniz fut bien obligé de reconnaître qu’un aristocrate, aussi curieux que sceptique, avait fait plus pour la République des Lettres que la publication de centaines de pages bavardes et souvent obsolètes. » (Stanis Perez)

Source : Perez, Stanis. La République des Lettres menée à la baguette ? L’affaire Jacques Aymar, Dix-septième siècle, vol. 226, no. 1, 2005, p. 145-154. S. Perez ajoute, citant R. Ariew : « Malgré tout, n’oublions pas que Leibniz croyait aux licornes et prétendait avoir vu un chien capable de prononcer quelques mots. »

Cette anecdote est à rapprocher des croyances en les forces de la nature, qui seront peu après mises à contribution pour expliquer le vampirisme. Bien d’autres phénomènes s’y rattachent, notamment le saignement d’un corps quand le meurtrier se trouve à proximité. Le canard intitulé Histoire horrible et espoventable d’un enfant, lequel apres avoir meurtry et estranglé son pere, en fin le pendit, publié vers 1574, illustre cela (numéro 3 de la bibliographie de J. P. Seguin). Il en est de même pour Histoire admirable arrivée en la personne d’un Chirurgien, qui fut condamné par justice il y a environ quatre mois, comme homicide de soy-mesme (1649). Rappelons enfin que c’est justement dans un article traitant de la baguette que l’on trouve la première mention française des vampires polonais (Mercure Galant, mars 1693).

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