RANFFT, Michael. De Masticatione Mortuorum in tumulis, (Oder von dem Kauen und Schmatzen Der Todten in Gräbern,) Liber Singularis : Exhibens Duas Exercitationes, Quarum Prior Historico-Critica Posterior Philosophica est. Lipsiæ, Sumptibus Augusti Martini, 1728. In-8 (160×99 mm). 109 pages, (3) pages Vélin rigide, dos titré à l’encre, tranches mouchetées de rouge (reliure de l’époque). Ex-libris du Dr. Cornelis Hendrik à Roy. Deux petites taches sur le plat supérieur. Bel exemplaire.

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Cette édition, la deuxième, est un approfondissement de la dissertation publique de septembre 1725, à laquelle Michael Ranft n’avait pu consacrer suffisamment de temps ; elle est très nettement augmentée. La dernière version (1734), motivée par des conditions particulières, en reproduira le texte dans une traduction en allemand, tout en proposant deux parties entièrement nouvelles (voir plus loin). Rappelons aussi que les premiers traités d’autres auteurs ne parurent qu’à partir de 1732.

Dans son article du colloque de Cerisy, Antoine Faivre distingue trois types de discours : rationaliste, théologique, et ésotérique. Il développe longuement le point de vue du philosophe allemand, qui fut le tenant le plus prolixe du troisième et le plus documenté. Nous nous contenterons de citer quelques extraits de son article à seule fin de donner un aperçu des idées en jeu : « L’explication “magique” ou ésotérique est la plus intéressante non seulement en soi, mais surtout en raison de son contexte culturel. […] En regard de leur discours [celui des auteurs adoptant cette explication], celui des rationalistes et des théologiens paraît pâle et plat. Grâce à ce troisième type de discours, de type néoparacelsien, le vampirisme représente l’une des dernières questions de type magique qui fasse l’objet de discussions sérieuses dans le cadre universitaire, discussions au demeurant inséparables du contexte général des débats philosophiques. L’une des grandes orientations de la pensée en cette période des Lumières est le mécanisme, qui postule notamment une séparation radicale entre l’esprit et le corps. Nos commentateurs du troisième type se situent dans le camp adverse, celui de l’antimécanisme […]. De plus, ce discours s’inscrit aussi dans un courant culturel aux frontières imprécises mais fort vivant et ramifié en cette première année du siècle : l’éclectisme. Les “éclectiques” sont des gens qui se méfient des systèmes clos et se montrent curieux de tout. […] Il s’agit certes d’un phénomène européen, mais tout particulièrement germanique. […] Par nature, l’éclectisme tend à encourager les réflexions de toutes sortes, à favoriser l’intérêt – la “curiosité” – pour les sujets les plus divers, fussent-ils étranges […] Ainsi, en tant que curiosa par excellence bien propre à stimuler l’intérêt des éclectiques, le vampirisme […] apparaît comme un enjeu par excellence […] aux yeux des représentants de cette forme de pensée qu’est l’ésotérisme, gens que la grande famille des éclectiques se montre volontiers encline à compter parmi ses membres. […] Il s’agit généralement de poser le principe de la tripartition de l’âme. D’abord, l’âme végétative […] ou esprit astral […] Ensuite, l’âme sensitive ou anima. Enfin, l’âme rationnelle […] Avec le corps matériel – celui qui meurt, que l’on enterre – cela fait quatre parties constitutives de l’être humain. […] Lorsque cet “esprit astral” se trouve séparé du corps, c’est-à-dire au moment de la mort, il continue de rester non loin de lui, mais peut se déplacer, mû qu’il est par des appétits, en attendant de disparaître un jour, tandis que l’âme sensitive, elle, perdure bien plus longtemps et que l’âme rationnelle […] est immortelle. Pour ces néoparacelsiens [qui s’appuient sur des considérations portant en particulier sur les propriétés magiques du sang des cadavres et l’esprit astral], l’âme végétative (l’esprit astral) de chaque individu est une parcelle du Weltgeist (Esprit, ou Âme, du Monde) et permet donc […] d’expliquer maints effets de la nature ; par exemple les phénomènes de hantise ; ou encore le saignement des cadavres. […] Le vampire serait un esprit vital errant (un esprit astral ou âme végétative). […] L’âme végétative s’élève de sa tombe, et par une sorte de contraction de l’air se procure un corps subtil et éthérique. Tandis que le cadavre reste dans le cercueil […] elle se déplace, rejoint ses lieux familiers, les proches du défunt surtout, dont elle absorbe le sang, puis elle retourne vers le cadavre afin de lui injecter ce sang dont elle s’est emparée. Il faut en effet, pour que l’esprit vital ne cesse point d’exister […] que le cadavre ne pourrisse pas. […] Ranft demande que l’on cesse de mélanger théologie et vampirologie : ni Dieu ni le diable n’ont quelque chose à voir avec ce fléau, qui relève simplement de la magia naturalis ou magie naturelle. […] De même, le sang qui jaillit du cadavre pendant qu’on le transperce d’un pieu, le cri du mort-vivant à ce moment-là n’ont rien de surnaturel et sont des phénomènes purement physiologiques […] (L’âme végétative) pousse les corps, même morts, à se maintenir, à se répandre, à exercer une influence sur le monde extérieur. C’est elle qui fait mâcher les cadavres dans leurs tombeaux ; une telle “mastication” ne serait alors que le premier stade de l’état vampirique. […] En bon paracelsien, Ranft parle aussi des effets magiques de l’imagination : l’âme végétative du mort est elle-même dotée d’une sorte d’imagination avec laquelle elle échauffe l’imagination des vivants, surtout si, avant de mourir, le défunt s’est querellé avec eux. Arnold Paole croyait, rapporte le Visum et Repertum [voir ci-dessous], avoir été vampirisé et les villageois y ajoutaient foi. Même si, dit Ranft, ce n’était pas vrai, cela créait une sorte de “sympathie” ou “action magique” entre l’âme végétative d’Arnold Paole et celle des gens à qui il avait affaire, “sympathie” qui après sa mort s’actualisa sous forme d’une vampirisation réelle. On voit ici jouer deux imaginations : celle du vampire et celle du vivant, qui exercent l’une sur l’autre une action réciproque… »

Cette édition de ce traité fait partie des très rares textes anciens sur les vampires traduits en français (mais seulement en 1995, aux éditions Jérôme Millon).

Le bibliophile flamand Cornelis Hendrik à Roy (1750-1833), était un médecin réputé d’Amsterdam. Il avait réuni l’une des plus grandes bibliothèques sur la médecine. Peu après sa mort, plus de dix-huit mille de ses livres furent vendus aux enchères.

N° 157 du catalogue N°1 de la librairie BMCF pour un exemplaire relié avec six autres plaquettes d’un type comparable. Un autre en reliure moderne dans Ouvrages sur la vanité des sciences, la pluralite des mondes et la passion du jeu du libraire Serge Plantureux (1993). Ce catalogue contenait, dans une section intitulée Abbés et vampires, douze livres, dont trois portaient sur le thème : celui-ci et deux éditions du traité de Dom Calmet, l’une en italien. N° 1909 de : Rosenthal : Bibliotheca magica et pneumatica (1903 ; 8875 titres) ; ce libraire allemand proposait en tout deux autres livres sur le sujet, au sein d’une rubrique intitulée « Superstition populaire. Apparitions. Vampires et spectres. Amulettes. Baguette divinatoire etc. » : celui de Calmet et l’édition allemande du traité de G. van Swieten. Concernant les discours rationaliste et théologique, voir les trois impressions gothiques, à la date 1732. Voir aussi aux dates 1725 (pour l’originale), 1694 (le point de vue de Marigner, qui se situe dans la même mouvance que Ranft) et 1693 (le saignement des cadavres). Sur le site https://hu-mu.blogspot.com/, figure un article très intéressant de Tristan Lhomme, consacré à ce traité (taper le mot masticatione dans le moteur de recherche de ce site, en haut à gauche).

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