ROSSET, François de. Les Histoires tragiques de nostre temps. Où sont contenuës les morts funestes & lamentables de plusieurs personnes, arriuees par leurs ambitios, amours déreglees, sortilèges, vols, rapines & par d’autres accidents diuers & memorables. Composées par François de Rosset & dediéees A Monseigneur le chevalier de Gvise. À Paris Chez François Huby, rüe Sainct Iacques à la Bible d’or, & en sa boutique au Palais en la gallerie des Prisonniers. 1613. Avec Priuilege du Roy. Un volume ; reliure pastiche (vélin de réemploi ; voir en fin de notice). 5 ff. n. ch. (titre, Epistre, extrait du privilège accordé le 5 juin 1613 à Anthoine Vitré et transfert de celui-ci à François Huby) ; p. 1-2 (préface) ; 28 ff. n. ch. ; p. 3-614. ([34] ff. dont le titre. Signature : [ã12, ẽ12,ĩ10]. 3 à 614 p. Signature : A-Z12 ; Aa-Bb12 ; Cc8.) Les 28 feuillets non chiffrés contiennent : De la mort tragique… : il s’agit de la première histoire. Les pages 3 à 614 présentent seize autres histoires, numérotées de I à XVI, portant le total à dix-sept. Deux portent fautivement le numéro VII. La date imprimée au titre est 1613 mais elle a été modifiée à la main pour devenir 1614 ; à ce sujet, voir ci-dessous).

vendu

Édition originale. Seul exemplaire en mains privées référencé.

Parmi tous les écrivains dont des ouvrages s’inscrivent dans la continuité des Histoires Tragiques initiées par Boaistuau et Belleforest, François Rosset (1571-1619), auteur de l’Histoire des amans volages de ce temps (1617), premier traducteur avisé des Nouvelles de Cervantes en 1615, de deux tomes des Jours caniculaires quelques années plus tôt (il s’agit d’un livre que l’on rencontre dans des collections dédiées à la sorcellerie), de la seconde partie de Don Quichotte en 1618, est incontestablement le meilleur continuateur de l’œuvre de ses deux prédécesseurs et le seul dont on se souvienne vraiment aujourd’hui.

Alors que l’intérêt du public pour ce genre littéraire déclinait depuis de nombreuses années, son recueil connut un succès non seulement très important, mais durable, qu’attestent ses très nombreuses rééditions anciennes (plus de trente-cinq pour le seul dix-septième siècle, sans cesse augmentées, même après sa mort…), celles qui paraissent encore de nos jours, et les études qui lui sont consacrées.

Une telle adhésion nécessitait que l’auteur se démarquât nettement de ses prédécesseurs : tout en respectant les codes des histoires tragiques, c’est-à-dire en racontant des événements « authentiques » mais toujours funestes, il proposa à ses lecteurs des récits brefs, empreints d’une violence déconcertante et décrite avec force détails – des récits dans lesquels on n’hésite pas, par exemple, à arracher les dents, les yeux et les ongles de l’être détesté puis à « séparer l’un après l’autre ses doigts » avant de lui ouvrir l’estomac avec un long couteau et de lui « arracher le cœur » pour le jeter au feu… Beaucoup étaient inspirés par les canards sanglants ou prodigieux qui connaissaient alors un succès grandissant. Ces histoires, dont deux sont même pour partie des transcriptions à peine remaniées de tels occasionnels (l’un, paru chez Huby), étaient d’autant plus attractives qu’elles étaient ancrées dans un environnement familier, contemporain et français.

Voulant sans doute justifier cette accumulation d’actes épouvantables, Rosset parsema son recueil de multiples déplorations moralisatrices ou indignées, derrières lesquelles – ses commentateurs ne s’y trompent pas – transparaît une certaine « complaisance sadique » voire une « secrète admiration » pour ce « despotisme du mal » auquel « semblent livrés sans défense » tous ses personnages. À cet égard, la préface : « Mon desseing n’est pas de publier les hommes, afin de les deshonnorez par leurs deffauts, mais bien plustost de faire paroistre les defauts, afin que les hommes les corrigent et que par ce moyen l’exercice de la vertu, les rende dignes d’honneur et de loüange »… n’est pas sans faire penser aux pages liminaires de la Justine de Sade qui, on le sait, a été influencé par le genre des Histoires tragiques (voir par exemple Jean-Pierre Dubost : Tragique de l’histoire, cruauté du récit : Bandello, Rosset, Sade).

Concernant la forme donnée à ses récits, Rosset, s’adressant à un public plus cultivé que celui des canards, se devait de faire plutôt œuvre de littérature que d’information : « A ne voir dans l’art de Rosset que l’application de certaines recettes, à ne mettre en lumière que la part d’imitation qu’il y a dans son œuvre, on s’expose à en donner une image imparfaite. Il importe de saisir sa capacité à recréer une vraisemblance littéraire à partir d’une information donnée comme vraie. Cette vraisemblance, dans le genre si particulier de la nouvelle tragique, consiste à produire du mystère, à suggérer la présence de forces obscures et menaçantes, à faire admettre l’exceptionnel dans la logique du récit. Avec cette poésie diffuse de l’étrange dont il enveloppe ses nouvelles, Rosset introduit dans la littérature quelque chose de tout à fait inconnu jusqu’à lui et qui sera promis à un long avenir » (Maurice Lever).

En tout état de cause, ces histoires où évoluent démons, possédées, parricides et autres couples incestueux, écrites avec un souci littéraire à une époque où la frontière entre réalité et surnaturel était floue, portent en elles des prémices des genres fantastique et frénétique à venir – ainsi que du roman noir (dont M. Lever estimait que Rosset « devrait passer à juste titre pour l’inventeur »).

Certaines peuvent même déjà être considérées comme des contes fantastiques, si l’on fait abstraction des considérations générales qui précèdent et suivent la narration des événements (celles-ci sont d’ailleurs parfois extrêmement réduites). C’est par exemple le cas pour D’un Demon qui apparoist en forme de Damoiselle au Lieutenant du Cheualier du Guet de la ville de Lyon… Dans ce célèbre récit basé sur deux canards parus en 1613, trois soldats passent la nuit avec une belle femme qui se révèle être un cadavre. Cazotte s’en inspira sans doute pour Le Diable amoureux, Potocki la reprit dans les Dix journées de la vie d’Alphonse Van Worden, ainsi que l’auteur d’Infernaliana (mais on la retrouve ailleurs, notamment dans Les Fredaines du Diable en 1797).

La question de l’identification des éditions les plus anciennes du recueil et en particulier l’originale, n’ayant été résolue que récemment – vers 2009, par Magda Campanini, en lien avec un Séminaire universitaire consacré aux histoires tragiques de François Rosset –, il est indispensable de résumer les passionnantes découvertes présentées à cette occasion par cette chercheuse. Ainsi, en 1908, Gustave Reynier évoquait une édition parue à Cambrai en 1614, sans qu’aucun exemplaire ne fût pourtant localisé. En 1930, George Hainsworth expliqua, en argumentant, que, probablement, une édition antérieure avait dû paraître ou être composée dès 1613. Il signala ensuite en 1938 une édition parisienne de 1614, mentionnée sommairement dans un catalogue de la bibliothèque d’Arras (le nom de l’éditeur n’était pas donné). Indépendamment de cela, un exemplaire de l’édition cambrésienne – « le seul connu » – fut localisé à la bibliothèque d’Amiens et décrit par Maurice Lever à la fin des années 1970.

Ces communications de grand intérêt n’eurent cependant pas de réel écho puisqu’il fut affirmé dans les deux éditions scientifiques des Histoires Tragiques de 1980 et 1994, que l’originale était l’édition cambrésienne et qu’elle était perdue. L’existence possible d’une édition parisienne en 1614 n’était quant à elle pas évoquée.

En 1997, La Pléiade présenta et décrivit l’édition cambrésienne dans Nouvelles du XVIIe siècle, et mentionna enfin l’existence d’une autre, parue à Paris en 1614, signalant un unique exemplaire connu, détruit dans l’incendie de la bibliothèque d’Arras en 1915 (celui qu’Hainsworth avait cité). Mais toujours aucune mention d’une parution antérieure.

Les premières réponses vinrent tout simplement par le biais de recherches internet dans le Catalogue Collectif de France et le catalogue virtuel de l’université de Karlsruhe, qui regroupent chacun les données de très nombreuses bibliothèques au sein d’un même moteur de recherche. M. Campanini repéra ainsi successivement, à Avignon et en Espagne, deux exemplaires de l’édition parisienne de 1614, jamais localisée auparavant, celui d’Arras, non décrit et perdu, étant mis à part. Elle constata à cette occasion que ce livre était paru chez François Huby et que la page de titre porte cette mention : « Seconde édition reueuë, corrigée et augmentée par l’Autheur ». Surtout, elle trouva à Edimbourg un exemplaire d’une « édition datée de 1613, jamais signalée auparavant, donc jamais prise en compte par la critique » (l’originale). Elle étudia par ailleurs l’exemplaire d’Amiens et arriva à la conclusion que cette édition parue à Cambrai, qui ne comporte que quinze histoires, est certainement une contrefaçon.

En utilisant d’autres moteurs de recherche similaires, nous avons localisé pour notre part un autre exemplaire de l’originale, au Danemark (Frederiks IIIs bibliotek, nr. 6912). Ce dernier, le nôtre et celui d’Edimbourg ont des collations identiques, sont tous parus chez Huby, bien sûr, et sont à la même date. Celle-ci doit cependant être remise en question, comme on le verra après.

Une description de cette originale s’impose : elle contient 16 histoires numérotées, la première étant celle du curé Gaufridy, qui périt sur le bûcher en 1611, et une 17ème, sans numéro, relative à un événement alors très récent, qui fit beaucoup de bruit : les deux affrontements meurtriers en janvier 1613 entre le Chevalier de Guise et les barons de Luz père et fils. Cette histoire fut sans aucun doute insérée après l’impression du recueil, comme en témoignent son placement (voir la collation), l’absence de numérotation et de pagination, et le bandeau placé en tête, différent de celui qui figure au début de chacune des seize autres histoires, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le livre. Cette insertion très tardive, non prévue, souligne de façon absolument remarquable la volonté de Rosset d’être au plus près de l’actualité (elle pourrait expliquer aussi, à notre sens, l’absence de table des matières : celle-ci, si elle existait dans la version primitive, n’était plus adaptée et n’a pas été refaite).

De plus, la date 1613 portée en chiffres romains sur le titre de chacun des trois exemplaires que nous connaissons a été modifiée (maladroitement) à la main, pour devenir 1614. La bibliothèque danoise signale ce fait dans sa notice et celle d’Edimbourg nous l’a confirmé (le dernier I est d’ailleurs positionné de travers, pouvant laisser croire qu’il faut lire 1613). Pour le nôtre, un composteur a été utilisé.

Lorsqu’elle discute dans son premier article la question de savoir si cette édition est bien l’originale, M. C. relève cette phrase dans une version de 1619, qui contient 23 histoires : « …“que je vous donne Lecteur, corrigée en cette dernière édition plus exacte que les précédentes, et augmentée de six nouvelles pièces, que j’ai écrites”… ». Elle indique ensuite : « Les éléments mis en évidence nous autorisent à considérer l’édition de 1613 comme l’editio princeps des Histoires tragiques de Rosset. Nous tenons compte en particulier de deux facteurs : la mention « Seconde édition […] augmentée » contenue dans la page de titre de [l’édition Huby de 1614] et le fait que [celle d’Edimbourg] est la seule édition [connue, antérieure à 1619] contenant dix-sept histoires… » (p. 291).

Ces articles ont été écrits avant la mise au jour de notre exemplaire et de celui de la bibliothèque danoise. Le fait que les trois aient la même collation (et aussi que la contrefaçon cambrésienne reprenne la dix-septième histoire) nous conforte dans l’idée que cette édition n’a pas été mise en vente sous deux états différents (avec ou sans cet ajout). Un autre élément très significatif va dans ce sens : le privilège est daté de juin 1613 et il a de plus été transféré, entraînant un délai supplémentaire pour la mise en vente, donc, comme l’affaire concernant le Chevalier de Guise s’est produite en janvier, Rosset a eu tout le temps nécessaire pour écrire l’histoire correspondante : il n’y a par conséquent aucune raison qu’il ait fait paraître deux états de son recueil.

Sources : À l’exception essentiellement de ce qui concerne la date 1613 modifiée en 1614, dont Magda Campanini ne fait pas état, la seconde partie de notre fiche est basée sur ses deux articles très détaillés, accessibles en ligne, d’un très grand intérêt et en tout point remarquables : « Les premières éditions des Histoires Tragiques de Rosset : un bilan bibliographique », in Les Histoires Tragiques de François Rosset. Textes recueillis par Bruna Conconi (I libri di Emil, 2014 ou sur academia.edu). Trois pages de l’originale sont reproduites. Et : Actualité et fabrication du tragique chez François de Rosset. Les variantes des deux premières éditions des Histoires tragiques. In : Réforme, Humanisme, Renaissance, n°73, 2011. p. 143-161 (sur le site persee.fr). Maurice Lever : De l’information à la nouvelle : les « Canards » et les « Histoires tragiques » de François de Rosset in Revue d’Histoire Littéraire de la France, 79e Année, No. 4 (Juillet-Août 1979), p. 577-593 (accessible en ligne ; M. C. se réfère à cet article ; nous l’avons nous aussi utilisé pour le début de cette fiche). Et : Canards sanglants. Naissance du fait divers ; 1993 (p. 29). Colette Becker : Le Roman au XVIIe siècle – elle y cite Henri Coulet. Anthony Glinoer : La littérature frénétique (PUF, 2009)

Nous remercions Stephen Willis, de la Bibliothèque d’Edimbourg, qui a eu la gentillesse de bien vouloir examiner la date portée sur l’exemplaire conservé dans cet établissement. Voir à la date 1615, pour l’un des deux canards ayant inspiré : D’un Demon qui apparoist…

Titre sali et consolidé ; un petit trou sans atteinte au texte ; derniers feuillets effrangés restaurés (le dernier comportait un manque angulaire et la dernière page est salie et frottée en haut – quelques lettres effacées). Autres restaurations de papier : une déchirure latérale avec manque de texte, p. 455-456 (les caractères qui ont été rétablis font l’équivalent d’un peu moins de deux lignes et demi sur les vingt-six qu’en comporte la page) ; un manque angulaire avec atteinte à une partie d’une lettre (p. 241-242) ; une déchirure sans manque de texte (p. 25-26) ; un tout petit manque de papier en coin restauré (p.99-100), un autre sur le cinquième feuillet. Taches p. 214 et 218. L’état de l’exemplaire est tout à fait satisfaisant malgré ces défauts (en dehors de la dizaine de feuillets mentionnés, les autres sont très bien conservés).

Retour en haut