RICAUT (Chevalier), Histoire de l’estat present de l’Eglise Grecque, et de l’Eglise Arménienne. Par Monsieur le Chevalier Ricaut. Traduite de l’Anglois par M. De Rosemond. A Middelbourg, Chez Gilles Horthemels, Pere & Fils, 1692, in-12 (86×153 mm). Reliure basane (époque). 1 ff. (titre), 23 ff non chiffrés (avertissement, préface, table), 444 p. Quelques frottements à la reliure.

500 euros

Édition originale française.

Ce traité paru en 1679 à Londres, considéré comme l’une des meilleures sources sur la condition des chrétiens d’Orient sous la domination ottomane, nous intéresse fortement pour le chapitre qu’il consacre à l’excommunication et ses conséquences sur les croyances aux retours de morts (De la puissance d’excommunier, que les Grecs mettent en usage, dans les occasions les plus légères, pages 272-293).

« Les Grecs mettent si souvent l’excommunication en pratique, qu’il semble qu’elle devroit perdre de sa force, et devenir méprisable. Cependant, soit que les paroles terribles de sa sentence pénétrent vivement le cœur, soit qu’il y ait quelque chose de vray, dans les accidens funestes, que l’on rapporte estre arrivez, non-seulement aux vivans excommuniez, mais même aux Carcasses de ceux, qui estoient morts sous l’excommunication ; ce Peuple ne s’est point encore relâché de la crainte et de la vénération, qu’il a toujours euës, pour les Arrests de son Eglise, qui conserve par-là son autorité. »

L’auteur reproduit ensuite une formule d’excommunication : « […]Qu’ils soient maudits ; qu’ils ne puissent obtenir de pardon ; et qu’ils demeurent indissolubles apres leur mort, tant dans ce siécle, qu’au siécle à venir. Que le bois, les pierres, et le fer se dissoudent : mais qu’ils ne le puissent jamais. […]Et après leur mort, que personne ne leur donne la sepulture, sur peine d’estre dans le mesme estat d’excommunication, sous lequel ils demeureront, jusques à ce qu’ils ayent accompli les choses, qui sont écrites dans cette sentence. »

Puis : « Ils croyent entre autres choses que le corps d’un Excommunié ne peut jamais retourner dans ses premiers principes, que la sentence de l’excommunication n’ait esté levée […] ils estiment qu’un mauvais esprit entre dans le corps des Excommuniez, qui sont morts en cet estat, et qu’il les préserve de la corruption en les animant, et en les faisant agir, à peu-prés comme l’ame anime et fait agir le corps. Ils s’imaginent, outre cela, que ces Carcasses mangent pendant la nuit, se proménent, font la digestion de ce qu’elles ont mangé […] »

L’auteur insiste ensuite sur le fait que ces croyances sont très largement répandues, et livre deux anecdotes. La première, rapportée par un témoin oculaire, un « homme d’honneur » « fort connu et fort estimé à Smyrne », fait l’objet d’un long développement. Elle concerne un homme, mort sans que son excommunication n’ait été révoquée. « […] Ses amis et ses parens estoient affligez au dernier point, de le savoir dans un estat si pitoyable, tandis que les Habitans de l’Isle estoient toutes les nuits épouvantez de visions étranges. Ils ne doutérent nullement qu’elles ne vinssent du tombeau de l’excommunié. Ils l’ouvrirent donc, selon leur coûtume, et y trouvérent un corps, qui bien-loin d’estre dissous ou corrompu estoit d’une couleur vermeille […] Après avoir délibéré, sur ce qu’ils avoient à faire, les Caloyers résolurent, d’avoir recours au reméde, dont on se sert ordinairement dans ces occasions ; c’est-à-dire de démembrer le corps, et de le couper en plusieurs morceaux, pour ensuite le faire boüillir dans du vin. Cet expédient fut estimé le plus propre, pour chasser le mauvais Esprit, et pour disposer le Cadavre à la dissolution. […] » (pages 281-284 ; cette histoire est reprise par Dudley Wright dans le chapitre 3 de Vampires and Vampirism).

Le second récit, plus bref, met en scène « un homme mort excommunié, depuis peu de temps, qui à ce que disoient les Païsans, se promenoit durant la nuit, et les épouvantoit par des phantosmes étranges. […] » L’auteur était présent à l’ouverture du tombeau : « je n’eus pas le bonheur de voir le corps dans cet estat, ni de rencontrer sur son cercüeil, ces provisions dont on prétend que le mauvais Esprit le nourrit. Je n’y vis que le spectacle, que l’on void ordinairement, dans le cercüeil d’un corps, qui a esté six ou sept jours en terre. Quoy qu’il en soit, les Turcs, à l’imitation des Grecs, parlent de ces prodiges, avec autant d’assurance, que s’ils estoient incontestables. » (pages 284-285)

Pour des compléments sur les broucolaques, voir, infra, le tome premier de la Revue Britannique. Quatrième série, 1837. Il est également question des broucolaques, mais aussi des ntoupis, incorruptibles mais non animés par le démon, dans un ouvrage contemporain : Histoire du règne de Mahomet II, empereur des Turcs. Par le Sieur Guillet (1681, tome 2, pages 136-142).

Notons enfin que cet ouvrage est cité dans le compte rendu du Visum et Repertum, fait par le Commercium Litterarium, Hebdomas XVIII, p. 143.

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