[TOLSTOÏ (Alexis Konstantinovitch)] MARIANNE, Grand Hebdomadaire politique et littéraire illustré. N°343, 17 mai 1939. 24 pages ; 370×560 mm environ. Numéro extrait d’une reliure (traces) ; état relativement correct. Un morceau de scotch près de la charnière, rousseurs sur la première page, défauts d’usage.
200 euros
La première publication en France de La Famille du Vourdalak. Rare.
On ignore quand fut écrite cette remarquable nouvelle qui s’inscrit dans les débuts de la littérature vampirique : André Lirondelle affirme qu’Alexis Tolstoï (1817-1875) la composa durant sa « prime jeunesse » ; les dates 1839 et 1847 sont parfois avancées. L’auteur, qui n’y attachait aucune importance, la délaissa, mais son oncle la traduisit en russe en 1884 et un « résumé » fut publié en 1906 dans une revue de Saint-Pétersbourg. Introuvable depuis 1884, le manuscrit réapparut au tournant de 1911, quand la nièce du traducteur, sollicitée par A. Lirondelle, le chercha chez elle et le découvrit, ainsi que celui d’une autre nouvelle fantastique, Le Rendez-vous dans trois cents ans, qui n’avait jamais paru. Cette dernière fut intégrée peu après au Poète Alexis Tolstoï, l’homme et l’œuvre (il s’agit de la thèse de Lirondelle) mais La Famille du Vourdalak ne fut livrée au public qu’en 1950 dans la Revue des Études Slaves, avec cette précision : « texte français inédit ».
À la suite de cette publication, qui est systématiquement présentée comme la première française, La Famille du Vourdalak allait prendre peu à peu sa place dans la littérature fantastique : elle figure ainsi dans plusieurs anthologies, notamment celle de Roger Caillois et La Grande Anthologie du Fantastique de J. Goimard et R. Stragliati. C’est aujourd’hui l’une des histoires vampiriques le plus souvent citées.
Notre journal contient sous l’intitulé Les Vourdalaks un « extrait » de cette œuvre, qui donne en réalité l’essentiel du texte. Il est précisé qu’il s’agit d’une nouvelle inédite et le nom de l’auteur est donné. Cette « adaptation » de R. de Maratray n’est à notre connaissance mentionnée nulle part et ne semble pas avoir été reprise en volume. Elle pourrait avoir été établie à partir d’une version allemande parue en 1924. Elle est illustrée d’un dessin de 21×16 cm qui, bien que se rapportant à un passage du récit, rappelle – ce n’est peut-être pas un hasard – la célèbre scène de la Lenore de Bürger, qui montre Wilhelm emmenant sa fiancée à cheval. L’ensemble occupe la quasi-totalité de la page.
Il est question dans ce récit d’un voyageur qui, lors d’une étape dans un village serbe, séjourne dans une famille dont le père, parti donner la chasse à un brigand turc, a averti que s’il n’est pas rentré d’ici dix jours, il faudra le considérer mort ; il reviendra alors en tant que vourdalak sucer le sang de sa famille. À l’instar du vampire de François Levasseur, au passage duquel flotte une « odeur cadavéreuse », celui de Tolstoï est bien plus proche du revenant slave décrit par les textes historiques que ne le sont les créatures imaginées par Polidori ou Le Fanu, ou bien encore Théophile Gautier. Cette façon de se référer au folklore, habituelle dans la littérature fantastique russe de l’époque, n’est cependant pas la marque du récit puisqu’une figure absolument étrangère aux légendes paysannes, en l’occurrence une femme vampire lascive et entreprenante, y évolue aussi, contribuant à ajouter davantage d’humour, de distance mais aussi d’horreur, à un récit qui n’est dépourvu d’aucun de ces traits.
Il faut noter à ce sujet que les suppressions opérées par R. de Maratray (ou par l’auteur de la version sur laquelle il s’est basé) ont pour conséquence d’atténuer cet humour et cette distance, orientant plus franchement le texte vers le genre fantastique et faisant ressortir les scènes effrayantes et fortes.
A. Tolstoï est aussi l’auteur en 1841 d’Upir, un court roman inspiré en partie de la nouvelle de Polidori qui avait été traduite en russe en 1828. Il ne l’intégra pas, lui non plus, à l’édition de ses œuvres.
André Lirondelle : Revue des Études slaves, tome XXVI, fasc. 1-4, 1950. / Le poète Alexis Tolstoï, l’homme et l’œuvre, 1912. Cet auteur est l’un des fondateurs des études russes en France. D. S-H., pages 283-286. Voir la préface de Patrice Lajoye pour La Grande Anthologie du Fantastique russe et ukrainien. Il y est expliqué que la proximité entre littérature fantastique et folklore existait également dans le cas de l’Ukraine, intégrée depuis la fin du XVIIIe siècle à l’Empire russe (les deux cultures s’étaient mélangées). Elle est par exemple à l’œuvre dans Le Roi des Gnomes, de Gogol. C’est durant la seconde moitié du XIXe siècle que cette orientation tendit à disparaître.
« Le nouveau venu s’arrêta près de nous et promena sur la famille un regard qui paraissait ne rien voir, tant les yeux étaient creux et ternes. – Eh bien ! dit-il d’une voix sourde. Personne ne se lève à ma rencontre ? »
Comme souvent dans le cas des journaux, ce numéro est très difficile à trouver.