Der Europäische Niemand, Welcher Niemanden zu beleidigen, Jederman aber nützlich zu seyn, beflissen ist ; Wie er solches in allerhand vertraulichen Gesprächen von neuen und alten Staats-Angelegenheiten. Leipzig, s.n., 1717-1719. Douze numéros reliés en 1 fort vol. in-8 (160×94 mm). 3 ff. n. ch., 1153 pages, 1 f. n. ch., 12 frontispices gravés. Veau brun, dos à quatre nerfs orné, caissons dorés, entre-nerf du titre vierge, tranches jaspées, douze petits signets en vélin collés (reliure de l’époque). La première gravure a été découpée et collée au recto d’un feuillet. Reliure restaurée ; le titre, au dos, est effacé. Bon exemplaire cependant.
1800 euros
La première représentation d’un vampire ?
Réunion des douze premiers numéros de cette publication satirique, politique et historique, qui parut de 1717 à 1721. Détail : numéros 1 à 5 : 1717 ; 6 à 10 : 1718 ; 11 et 12 : 1719.
Une partie du numéro 11 est consacrée aux troubles causés par un revenant en corps, Michael Casparek, exhumé et exécuté peu de temps avant. Le rapport médico-policier, en latin, rédigé par les autorités de Liptov (Haute Hongrie), est reproduit ; il est suivi de plusieurs pages en allemand, où sont formulés des commentaires sur l’affaire. L’ensemble occupe les pages 972-980. Le frontispice qui orne la livraison en question montre Casparek en train de causer des troubles en ville : il frappe à la porte d’une maison dont on voit les habitants à la fenêtre, perturbés. Le revenant est représenté sous forme humaine – et non pas comme un spectre – et il est à cheval. On voit aussi, plus loin, des gens se sauver, d’autres fermer leurs volets. Cette gravure revêt un très grand intérêt : compte tenu de la date de publication du livre, elle pourrait offrir la première représentation d’un vampire*, à moins, bien sûr, que des broucolaques ou des morts mâcheurs n’aient déjà fait l’objet d’illustrations – nous ne disposons pas d’informations à ce sujet. Elle a aussi le mérite, par son caractère réaliste, de chercher à rendre fidèlement les événements relatés. L’Histoire des vampires et des spectres malfaisans (1820), ou encore la troisième édition du traité de Michael Ranft (1734), présentent quant à eux des scènes dont l’intérêt, même s’il est bien réel, est plutôt d’ordre esthétique ou symbolique.
On lit dans l’article d’A. Faivre, que conclut sa Bibliographie des vampires dans laquelle cette publication est mentionnée : « Ni les révélations du Mercure galant ni le livre de Schertz [Magia posthuma, 1706] ne suffisent vraiment à défrayer la chronique. Arrive 1718, date importante à un double titre. D’abord, mais secondairement, un cas de vampirisme est signalé en haute Hongrie dans le village de Liptov et fait l’objet d’une enquête officielle – la première, semble-t-il, mais sur elle on dispose de peu de données. Le vampire s’appelle Michael Casparek, décédé la même année. Ensuite et surtout, c’est la paix de Passarowitz [déjà évoquée dans notre introduction], événement politique grâce auquel le vampirisme va faire son apparition dans l’imaginaire occidental. […] À Plogojovitz reviendra par la suite une place d’honneur dans la littérature vampirologique, car plus que Casparek il présente les caractéristiques qui vont servir à spécifier le vampire ; par ailleurs il inspire un philosophe, Michael Ranft… »
Dans un article plus récent dont nous ne rapportons qu’une partie, Thomas M. Bohn explique qu’immédiatement après sa mort en février 1718, Casparek réapparut et s’attaqua à des gens, les frappant, les mordant ou les étouffant. Le 26 avril, lors d’une exécution publique, le corps du défunt malfaisant fut exhumé, brûlé, et son cœur, qui avait été arraché juste avant, enterré ; l’organe fut cependant restitué à ses frères, après que ceux-ci eurent protesté. Les troubles continuèrent ; une série d’incendies attribuée au revenant se produisit. Ses proches furent amenés à jurer qu’il n’avait pas pratiqué la sorcellerie de son vivant ; un exorcisme fut pratiqué en juin, sans donner de résultat. Le cœur fut en dernier recours brûlé et cette fois les problèmes cessèrent.
D’après la rumeur, le défunt Casparek aurait perturbé une fête de mariage, proféré en polonais la promesse de se venger de son exécution en provoquant les incendies, et répondu à sa veuve qui lui demandait la raison de cette vengeance : “Les diables ne veulent pas me tolérer en enfer, et Dieu ne veut pas me permettre d’aller au paradis parce qu’ils n’ont pas brûlé mon cœur mais celui de quelqu’un d’autre, alors je dois errer pendant sept ans.” On raconta aussi que sa femme et quelques servantes furent enceintes de lui. T. M. Bohn explique aussi que dans la partie en allemand du texte de notre revue, trois érudits discutent du cas de ce revenant « et, de manière éclairée, l’associent à la superstition et à l’œuvre du diable ». Il signale par ailleurs que sous l’influence des événements qui mirent en scène, quelques années après, P. Plogojovitz et A. Paole, Casparek finit par être présenté comme un suceur de sang [bien que cette caractéristique soit absente des textes d’époque] – cette façon de le considérer étant poussée à l’extrême par Georg Conrad Horst, dans sa Zauber-Bibliothek (1821-1826). Horst vit en effet en lui “le plus ancien vampire […] de Hongrie”, “le plus fou, le plus odieux et le plus terrible de tous”.
* A condition bien sûr de considérer que le vocable « vampire » est adapté au cas de Casparek.
Sources : Thomas M. Bohn : The Vampire : Origins of a European Myth, 2019, pages 110-117 (Kasparek’s Metamorphosis from Poltergeist to Vampire) ; le frontispice est reproduit. Antoine Faivre : Colloque de Cerisy (page 48 pour la citation, 62, 63 et 71 pour la bibliographie). Massimo Introvigne, page 21.
Absent du catalogue N°1 de la librairie BMCF. Quelques reliures de cette revue figurent dans les archives des sites de ventes aux enchères (RBH, Invaluable, Barneby’s…), mais aucune d’entre elles ne contient le numéro qui nous intéresse ici.